Marilyn Stellini – La fin de ce printemps 2019 est marquée par le football, entre les éliminatoires de l'Euro et la coupe du monde de football féminin. Autant dire que les livres consacrés au ballon rond qui paraissent ces temps-ci sont parfaitement en phase avec l'actualité. "Talons aiguilles & ballon rond", dernier roman de Marilyn Stellini, plonge pour sa part dans les profondeurs du football anglais en fixant pour cadre l'univers du Portsmouth FC – qui existe vraiment, quelque part du côté de Londres, et dont les avanies du roman reflètent l'histoire réelle.
Le lecteur, ou la lectrice, est invité à se mettre dans la peau d'Addison Bailey l'espace d'un peu plus de trois cents pages. Il y a une astuce d'écriture: à moins d'avoir lu la quatrième de couverture, le genre de la narratrice n'apparaît pas immédiatement. En particulier, le prologue n'en dit rien. Quant au prénom d'Addison, il est suffisamment méconnu pour qu'on s'interroge, l'espace de quelques pages. Intrigante et déstabilisante ambiguïté!
Assez rapidement, cependant, les choses sont mises au point: Addison Bailey est la fille d'un footballeur connu et cherche à tracer sa propre route dans le domaine de la communication et du marketing. Elle se décrit comme une ambitieuse sans cœur, ce que l'histoire, développée à la façon d'une romance, va s'attacher à contredire: Addison et Liam, capitaine du Portsmouth FC, vont se chercher et se trouver – ce n'est pas spoiler que de le dire, c'est la loi du genre, et l'on voit venir cela de loin! Le but amoureux est défini, reste à savoir comment y arriver... Et l'auteure rappelle que le chemin entre deux cœurs est parfois aussi tortueux et incertain, collectif aussi, que celui qui permet à un buteur de mettre le ballon dans les filets.
La romancière a su s'entourer de spécialistes pour donner un surcroît de réalisme au monde du football qu'elle décrit. Bonne surprise: on trouve dans "Talons aiguilles & ballon rond" une explication théorique simple de la règle du hors-jeu et de son enjeu. Mais foin de technique: de façon plus générale, les matches décrits sont esquissés de façon crédible, à la façons des highlights des retransmissions. L'auteure, en effet, multiplie les points de vue, reflétant l'ambiance en coulisses et en tribune et le ressenti d'une supporter, décrivant au plus près des manœuvres et actions tactiques astucieuses. Cela, sans oublier que si certaines femmes aiment le foot, c'est aussi parce qu'il y a des beaux gosses sur le terrain.
Alors oui: le roman est traversé par un propos féministe certes judicieux, mais parfois lourdement assené – on pense au pénible début du chapitre 19. Cela dit... judicieux, ai-je dit? Oui: en abordant le football au masculin, elle esquisse en creux, surtout en début de roman, les obstacles auxquels les femmes les femmes font face dès qu'elles souhaitent le pratiquer. En ce sens, on peut noter que "Talons aiguilles & ballon rond" entre en résonance avec l'enquête "#MeFoot" de Lucie Brasseur, qui observe, lui, le football pratiqué au féminin.
Réciproquement, le côté macho du football est porté par le personnage de Mike Bailey, père d'Addison. Mais l'auteure, habile psychologue, a la sagesse de ne pas en faire un bête phallocrate, en montrant que lui aussi a ses fissures. Même chose pour Cole, cadre du football, sentimental derrière ses manières de dragueur lourd. C'est que de façon globale, les personnages campés par la romancière ont globalement tous des qualités et des défauts sur la base des quels ils sont susceptibles d'évoluer. On pense à Liam, incapable en somme de dire "je t'aime". Et en face, même une féministe convaincue comme Addison, carriériste à fond, capable de remballer des lascars qui font des compliments faisandés, peut devenir à proprement parler la chose de son amant. Piège de l'amour? Le débat est ouvert.
On passera certes sur les quelques incohérences qui tombent au fil de la plume, par exemple les barres d'aluminium qui deviennent des barres de bois destinées à l'entraînement, ou à l'aimable chaton Misty, qui devient Betsy au fil des pages. C'est peu de chose face à l'écriture résolument moderne du livre et au soin apporté à la psychologie des personnages mis en scène: le lecteur a affaire à des femmes et à des hommes forts, bien décidés à attraper par les cheveux ce que la vie peut leur offrir de meilleur, et cependant amenés à faire face à leurs difficiles zones d'ombre. Pour Addison, la carrière s'avère un leurre (question en page 116, par Mike Bailey: "Faire carrière pour quoi?" – l'anthropologue et militant anarchiste David Graeber a sa petite réponse à cette question...), l'amitié sexuelle et les escarmouches sentimentales parfois intéressées ne sont qu'embrouilles. Alors quoi? L'amour sincère au bout de la tendre guerre, peut-être...
Marilyn Stellini, Talons aiguilles & ballon rond, Paris, BoD/Kadaline, 2019.
Le site des éditions Kadaline, le blog de Marilyn Stellini.
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