Ilya Stogoff – Gageons que l'écrivain russe Ilya Stogoff a mis pas mal de son expérience personnelle dans "mASIAfucker", récit de voyage complètement fou à travers la Russie et l'Asie centrale de la fin du vingtième siècle. Son narrateur est un journaliste à succès, également auteur d'un livre. Et là, sur un coup de tête, au lieu de reprendre le train vers chez lui et chez sa famille après avoir encaissé cash le montant de ses piges, voilà qu'il part vers Volgograd.
Tout au long d'une errance qui va balader le narrateur dans tous les coins de la Russie et d'un certain nombre des républiques de l'ex-URSS, cependant, les premières phrases du roman résonnent en un leitmotiv nostalgique: "S'il mène à la maison, le chemin a du sens. En ce monde, tout a un sens à condition que cela vous aide à vous trouver au bon endroit." En écho, jamais le personnage ne se trouve vraiment au bon endroit. Il n'aura donc de cesse de quitter les lieux où il arrive, par le hasard des vols et des trains, et de rentrer à Saint-Pétersbourg.
Et Dieu sait qu'il y en a, des lieux! Samarcande, Kazantip, Irkoutsk, Ioujno-Sakhalinsk... Russie ou Asie centrale, c'est le pays profond que le narrateur explore, des localités où l'on n'arrive pas facilement, que les chauffeurs de taxi ou les compagnons de voyage déconseillent même à un narrateur pourtant plutôt débrouillard. On ne compte plus guère, en effet, les combines auxquelles il recourt pour avancer, forcé ou volontaire: corruption, resquille, complicité de trafics, etc. Et le voyage se poursuit, alors que le capital de départ s'égrène plus ou moins doucement.
Cela, dans des régions où son apparence ne suscite pas forcément la sympathie: son crâne rasé le fait souvent passer pour un skinhead, alors qu'il se définit plutôt comme un punk qui ne boit plus d'alcool mais garde son franc-parler. Plus d'une fois, on le met en garde. Ce n'est pourtant pas envers les Blancs rencontrés sur son chemin qu'il aura forcément le plus de sympathie: il est permis de trouver le personnage légèrement misanthrope et à l'ouest.
Rock'n'roll dans son propos, "mASIAfucker" est également porté par tout le répertoire rock de la fin du vingtième siècle. Par flash-back, le narrateur relate les premiers concerts de rock donnés en URSS par des groupes officiels, et où il n'était pas forcément autorisé de se lever de son fauteuil pour danser. Il évoque aussi ses découvertes de la musique occidentale, repiquée sur de nombreuses cassettes, ainsi que son obsession pour "Englishman in New York" de Sting, liée à une histoire sentimentale conflictuelle vécue à Berlin avec une fille longue de plus de deux mètres, Dietka.
"La Passion d'un punk séminariste": tel est le sous-titre du livre. Or, la figure du séminariste ne transparaît guère dans "mASIAfucker", si ce n'est par le biais de Guy Gilbert, que le narrateur a rencontré. Cela, alors que l'auteur, lui, est bel et bien passé par le séminaire avant d'exercer les métiers les plus divers.
Trash par moments, tendre ou drôle à d'autres, porté par des dialogues parfois lunaires, "mASIAfucker" est une road (train and flight) story hallucinante, entrecoupée de la narration de souvenirs glorieux de jeunesse. Elle embarque le lecteur loin, très loin, dans les recoins de l'Asie centrale, sur le ton du journalisme gonzo. Cela, tout en sachant qu'il y a peut-être un endroit au monde où rester enfin.
Ilya Stogoff, mASIAfucker, Paris, Louison éditions, 2016. Traduction du russe par Marie Roche-Naidenov. Préface de Simon Liberati.
Le site des éditions Louison.
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