lundi 19 mars 2018

En phrases courtes et denses, la vie de tout un chacun aujourd'hui

Abigail Seran – Brèves et denses, les nouvelles qui constituent le recueil "Un autre jour, demain" d'Abigail Seran invitent à méditer sur la vie quotidienne, captée par son atmosphère avant tout. Romancière et chroniqueuse de blog, cette écrivaine suisse s'essaie à présent à la nouvelle, et renouvelle ainsi avec bonheur son art d'écrivain.

On trouve dès la première nouvelle, "Hors de soi", mise en évidence comme un prélude, tout ce que le recueil recèle: une certaine prise de recul, qui permet une observation exacte. La brièveté du texte est accentuée encore par le goût des phrases courtes, avec un verbe à l'infinitif, qu'on retrouve tout au long du livre et lui donnent son ton résolu. Et que ce soit autour d'un thé ou d'un café ou du moment intime de la douche, "Hors de soi" respire la solitude. Ce que quelques mots bien choisis suffisent à faire sentir.

Si "Hors de soi" est mis en place comme un prélude, les dix-neuf autres nouvelles de ce recueil sont regroupées par thèmes, qui constituent autant de chapitres. Dans les "Brèves rencontres", on goûtera l'habile "Une place", qui trouve place du côté des transports publics et suggère la difficulté de trouver un emploi. Ici, le regard porté sur les pendulaires, vus comme des fourmis, ne manque pas de rappeler "Les fourmis de la gare de Berne" de Bernard Comment. Dans les transports publics, cette nouvelle fait écho à "Métronome", où l'on se rencontre d'un quai du métro à l'autre. Mais alors qu'on travaille, chacun à sa manière, se connaît-on vraiment?

Le monde du travail constitue du reste l'une des parties de ce court recueil, intitulée "Petits boulots". On en redécouvre les travers, avec ce regard d'écrivain que l'on a appris à connaître, qui sait raconter et terminer un texte par une chute astucieuse. Celle-ci peut être l'explication après coup, subitement éclairante, d'un recul étonnant, par exemple dans "Mondialisation", dont l'écriture, précise pour décrire une ambiance pesante prélude aux licenciements en masse, n'hésite pas à aller piocher dans le langage managérial pour en souligner les travers à coups d'anglicismes glissés çà et là. On l'a compris, les petits boulots peuvent être importants, même si, d'un certain point de vue, ils ne valent pas grand-chose. Mais a contrario, certaines activités humbles en apparence peuvent être déterminantes, ce que démontre "Chambre avec vue".

"Esprit de famille" est une partie qui met en avant ce que l'on peut faire lorsque l'on met la famille avant tout. Des personnages féminins y tiennent les rôles clés, que ce soit la fille cadette qui se dévoue pour reprendre la boulangerie familiale alors que l'aîné a d'autres plans de carrière dans "Quand tu seras grand" (un titre au masculin... comme quoi les attentes envers l'aîné, un garçon qui fait des études, sont affirmées), ou dans "Fleurs des champs", où une fille achète des fleurs pour un membre de sa famille... lequel? Cela, sans oublier la peine de la séparation, encore une fois décrite du point de vue d'une mère, dans "Loin": aimer son fils, c'est accepter la séparation, accepter qu'il soit quelqu'un d'autre que soi – lui-même, bien entendu – mais l'écriture, succincte, suffit à dire ce que cela peut être dur.

On peut voir dans chacune des nouvelles de "Un autre jour, demain" la recherche de points de bascule, et ceux-ci s'avèrent évidents parfois. D'autres fois, les textes créent des ambiances brèves et bien captées comme des flashes, et se terminent volontiers par des chutes douces-amères. Une constante toutefois: le lecteur de ce recueil est appelé à vivre des moments de la vie quotidienne, proches de ce que lui-même vit. Magnifié par les mots précis et concrets de l'écrivaine.

Abigail Seran, Un autre jour, demain, Avin, Luce Wilquin, 2018.


Le site d'Abigail Seran, celui des éditions Luce Wilquin.


2 commentaires:

  1. Joyeux anniversaire cher Daniel ! Des bises pour une visite éclair ! Je ne viens plus trop lire les blogs faute de temps, mais je ne t'oublies pas :)

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    1. Merci beaucoup pour tes voeux, Liliba! C'est un plaisir de te lire par ici. A tout bientôt!

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