Françoise Cohen – Neuf nouvelles pour un recueil, pour un petit monde même. Dans "L'empreinte volée", l'écrivaine Françoise Cohen développe des histoires humaines qui partent de quelques petits riens qui permettent de sortir de l'ordinaire… ou d'y trouver l'extraordinaire, voire le fantastique ("Rêves postiches"). À savoir la matière nécessaire pour écrire des nouvelles.
"L'Inconnue de la Pagode" est la nouvelle qui ouvre le recueil. En une dizaine de lignes, le programme de "L'empreinte volée" y est présenté tout entier. Il y est question d'un pèlerinage qui passe par le chemin des écoliers, promenade qui invite à revoir des lieux familiers sous un autre jour. Cette promenade, ce sera celle du lecteur du recueil, baladé le plus souvent du côté de Paris et invité à en découvrir des lieux un peu rares, comme la place Dauphine et son "Bar du Caveau" dans "Tout sur Roberto". Mais il arrive que l'auteure amène, par allusions, son lecteur dans des régions lointaines où l'on parle espagnol.
Et puis, en montrant dès le début une lettre difficile à lire, émanant d'un expéditeur inconnu, l'auteure suggère que l'on n'entre pas dans son recueil facilement: il faut savoir le déchiffrer, au-delà de mots d'apparence aisée. Et quand on déchiffre, on découvre des choses: la narratrice de "L'Inconnue de la Pagode" se retrouve sur une photo d'artiste signée Ricardo, ce qui suscite de l'émotion. Une sorte de photobombing qui fait écho à la présence involontaire de la narratrice sur une photo dans "L'empreinte volée", nouvelle dernière et éponyme du recueil. Deux images volées, il n'en faut pas plus pour se souvenir que "L'empreinte volée" est un livre bien construit.
Pour ses nouvelles, l'écrivaine fait usage d'une écriture classique, solidement élaborée. On apprécie ici le goût des changements de points de vue, qui concrétisent l'envie de donner la parole à tel ou tel personnage. Dans "Tout sur Roberto", cela va jusqu'à la citation d'un journal intime, tenu par un amnésique qui finit par jouer la comédie de ceux qui, dans son entourage, se souviennent et essaient de lui imposer une mémoire. L'auteure excelle d'ailleurs à ce jeu-là, offrant au lecteur des nouvelles en trois dimensions, dans la mesure où elles sont observées par plus d'un personnage. De ce point de vue-là, "Consuelo et les clés du royaume" est exemplaire.
Quelques thèmes traversent le livre "L'empreinte volée", en particulier l'identité. Il y a certes l'identité perdue, vue à travers l'amnésique de "Tout sur Roberto". Mais il y a aussi l'excellent développement qui se construit autour de deux homonymes de sexe différent dans l'astucieuse nouvelle "Un enterrement corse". C'est un point de vue qui affleure aussi dans "Le messager des vieilles nouvelles", dans la mesure où l'on se trouve ici en présence d'un jeune homme qui se cherche et a choisi de confisquer quelques lettres alors qu'il était stagiaire au centre de tri postal. Réciproquement, l'identité des destinataires a évolué entre le moment de la confiscation et celui où, pétri de remords, le narrateur choisit de prendre contact pour acheminer enfin les lettres.
En captant des moments de vie réalistes, l'écrivaine est peut-être une voleuse de moments, entrant par effraction dans la vie de ses personnages – des personnages qui empruntent parfois, on veut le croire, à la vie de l'auteure elle-même. L'écriture de "L'empreinte volée" s'avère soignée, et on peut se dire qu'elle est bien sage. Fausse impression: l'attention aux mots de l'auteure est indéniable, et les neuf nouvelles de "L'empreinte volée" sont bien construites, toujours autour de personnages ordinaires dont les voix sonnent juste. Cela, avec des accents espagnols colorés, lâchés lorsque tel ou tel personnage fait métier de traducteur ou de poète, dans le cadre à la fois si français et si cosmopolite du Paris d'aujourd'hui.
Françoise Cohen, L'empreinte volée, Paris, Tituli, 2018.
Le site des éditions Tituli.
Lu par Dominique Lebel.
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