vendredi 30 mars 2018

L'être humain, au cœur du premier recueil de Fabienne Morales

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Fabienne Morales – La première volée de livres courts publiée dans la collection "Hors-d'œuvre" des éditions Plaisir de Lire comprend "La densité de l'instant" de l'auteure vaudoise Fabienne Morales. Certains des textes qu'elle a écrits ont déjà été remarqués çà et là; les voici donc réunis dans un recueil dont les nouvelles sont toujours centrées sur l'humain. 


Certaines d'entre elles, comme "Georges Milovski" ou "A la Migros", font la part belle au portrait descriptif des personnages. Le lecteur leur trouve une épaisseur certaine, qu'ils soient détestables (comme le personnage masculin de "A la Migros") ou simplement pitoyables, victimes peut-être d'usages hérités d'un autre temps. Ce portrait peut être mouvant, la nouvelle étant alors, comme dans "La Densité de l'instant", le récit d'une évolution intérieure – en l'espèce celle de Louis Borgeaud, agriculteur. Et ce sont des personnages amoureux qui ouvrent et ferment le recueil, avec "Saveur Pomme-Girofle" (ou l'art de porter un prénom bizarre) et "Nous nous embrasserons au-delà de la tombe". Cela, avec une tendresse marquée.

Ces personnages, c'est peut-être parfois aussi l'auteure, qui injecte dans ses nouvelles une part de son vécu: "j'écris sur la base d’un sirop de vérité que je dilue dans l’eau de la fiction", confie la nouvelliste sur son site Internet. Son goût pour la marche, la randonnée, elle lui consacre par exemple la nouvelle "L'équilibre du monde", construite comme un journal oscillant entre introspection et géographie, avec toujours le souci d'aller plus loin, d'aller au bout d'un projet de sortie à pied de plusieurs jours.

Et puis, on sera frappé par le caractère profondément suisse de ces récits qui trouvent volontiers place en Suisse romande. Le lecteur est promené du canton de Neuchâtel à celui de Vaud, et aussi à certaines réalités suisses d'antan telles que les cours d'ouvrage, réservés aux filles alors que les garçons faisaient du bricolage – c'étaient les années 1970, un univers scolaire strict qui est cadre de "Leçon de couture". La "suissitude" transparaît jusque dans le vocabulaire choisi, où les helvétismes se glissent avec le plus grand naturel pour dire telle ou telle réalité. 

Chaque nouvelle a du reste sa propre musique. Outre la forme du journal intime, on trouve aussi le récit par éclats, par exemple dans "La Tache", qui met en scène un quarteron de gars infects harcelant la patronne du restaurant qu'ils hantent – un texte peut-être un peu manichéen, soit dit en passant, mais à la chute malicieuse: si le client est roi, qu'il aille sur le trône! L'utilisation de la première personne du singulier permet de créer des textes dont on se sent proches, même si l'on est peu familier du sujet: ainsi en va-t-il de "Savasana", qui évoque une séance de yoga avec ses difficultés. 

Des questions sociales des plus actuelles sont abordées dans les 14 nouvelles de ce livre. Il y a certes celle du harcèlement sexuel, où la victime est au féminin, présente dans "La Tache" et dans "A la Migros". Mais il y a aussi les mutations du monde agricole, qui transparaissent dans "La Densité de l'instant", la dépendance, dans "Rhinella Marina", ou la découverte d'une sexualité différente et apaisée dans "Syllabe contre syllabe". Que cela ne fasse toutefois pas paraître ce recueil trop grave! L'auteure rappelle que les bonnes choses, qu'elles soient une bonne randonnée ou un bon verre de vin, ont toujours leur place quelque part dans la vie de ses personnages – des personnages, justement, avec lesquels on pourrait avoir envie de boire un verre... ou pas – et donc dans celle de ses lecteurs. 

Fabienne Morales, La densité de l'instant, Lausanne, Plaisir de lire, 2018.

Egalement lu par Francis Richard. 

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