Marie-Jeanne Urech – Après "La Terre tremblante" et "K comme Almanach", "Leur grandeur amputée" vient conclure le triptyque littéraire que Marie-Jeanne Urech a consacré aux villes, inhumaines mais où, pourtant, l'humain vit envers et contre tout. Ce faisant, l'écrivaine suisse poursuit une œuvre toute personnelle, onirique et semblable à nulle autre, que Pierre Yves Lador, dans sa postface, cerne par l'idée d'"expressionnisme pudique".
Et qu'en est-il dans ce court roman? Celui-ci relate l'histoire d'une mère qui cherche un frigo. Simple? Voire: l'univers dystopique mis en scène rend une telle quête rien moins qu'évidente. Surtout s'il faut qu'il fonctionne, ce frigo: dès lors, il faut bien tout un roman pour relater ce qui devient une sorte d'épopée familiale.
Cette quête se déroule en effet dans une cité qui a repris ses droits d'entité organique et vivante, où les plaques de rue sont mouvantes aussi bien que les bâtiments, qu'on peut même diviser en quatre à l'occasion d'un partage d'héritage, chacun partant avec son étage. La famille qui entoure la mère qui cherche son frigo déménage elle-même souvent.
Ainsi se dessine un monde sans repères, à l'image de celui, en pleine mutation, dans lequel le lecteur d'aujourd'hui vit actuellement. Les noms des personnages eux-mêmes, quand ils sont nommés, sont trompeurs, fluides. Ainsi, on pourrait croire le défunt carambouilleur Jean Tabard ressuscité, l'espace d'un instant, comme un personnage de Ponson du Terrail. Mais non: simplement son fils porte le même nom que lui...
Tout au plus trouve-t-on un leitmotiv avec l'étoile polaire, présente même quand il n'y a plus de lumière en ville à la suite d'une panne de courant généralisée; devenues luminescentes, les chiures de mouches en sont l'image dégradée. Les objets eux-mêmes ont une utilité flottante, une arbalète pouvant par exemple devenir une guimbarde.
C'est qu'autour de la mère, il y a deux enfants et même, on le découvrira plus tard, un papa revenu d'un improbable Océloin. Ces enfants sont tiraillés entre le jeu, qui est leur pente naturelle, et l'impératif d'instruction requis par une mère désireuse de leur offrir quelques repères dans ce monde mouvant: une bonne instruction, et aussi un frigo qui, en fin de roman, apparaît comme un totem au milieu de la pièce à vivre.
Alternant paragraphes narratifs compacts et dialogues purs pour créer un rythme à la fois dense et rapide, l'écriture de la romancière ne dédaigne surtout pas les néologismes, reflets d'un monde différent, alternatif. Poétiques, créés en décalage à partir des mots du français courant, ils sont utilisés à l'appui d'une réalité évoquée avec le supplément de force que leur confère leur nouveauté, leur étrangeté, mais aussi leur évidence.
Marie-Jeanne Urech, Leur grandeur amputée, Vevey, Hélice Hélas, 2025. Postface de Pierre Yves Lador.
Le site de Marie-Jeanne Urech, celui de Pierre Yves Lador, celui des éditions Hélice Hélas.
J'avoue que je ne suis pas très tentée mais je te fais un petit coucou :)
RépondreSupprimerBonjour à toi Thaïs, et merci de ta visite! Je te souhaite une bonne fin de semaine.
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