jeudi 13 février 2025

Treize fois Lovecraft en Suisse romande

Collectif – Treize auteurs se sont lancé un défi: quelles pourraient être les nouvelles nées d'un Howard Philip Lovecraft d'aujourd'hui, passé par la Suisse et touché par ses paysages romands? Il en est résulté un recueil collectif publié dernièrement aux éditions Hélice Hélas, intitulé "Sous nos monts hallucinés".

La présence inspiratrice de Lovecraft prend plusieurs formes. Elle peut apparaître de manière plutôt littérale comme dans "La Phrase" de Julien Hirt, qui fait revivre un petit livre noir aux pouvoirs délétères qui pourrait être le "Necronomicon". Ce livre noir fait écho au cahier de la même couleur qui constitue la teneur de "L'abomination sous la pierre" de Jean-François Thomas, auteur par ailleurs du roman "Le Cri du lézard".

De façon générale, "Sous nos monts hallucinés" ajoute à treize reprises une solide dose d'imaginaire fantastique à quelques lieux suisses romands bien connus, à commencer par le Léman, qui prend une profondeur insoupçonnée dans "Ce qu'il y a au-dessous" de Catherine Rolland (qui a aussi signé "Les Inexistants"), qui sait par ailleurs faire évoluer des relations humaines tendues en quelques pages. Mentionnons aussi le lac des Taillères, proche de La Brévine, transformé en bourbier méphitique dans "Le Lac tombé du ciel" de Lucien Vuille – dont les illustrations en noir et blanc strict, âpres et expressives, apportent une note visuelle bienvenue au livre.

Outre les lacs, les gouffres et les profondeurs inspirent les auteurs du recueil. Il y a d'un côté les grottes connues et bien répertoriées, telles que le lac souterrain de Saint-Léonard dans "Le murmure des profondeurs" de Fabrice Pittet, qui évoque les spectres qui pourraient hanter ces lieux obscurs, sur fond de disparitions mystérieuses d'humains. 

D'autres sont occasionnelles: une crevasse sans fond dans "Echos du gour noir" de Pierre Yves Lador (auteur de "Le marcheur vertical") ou les emposieux (ou dolines) du Jura dans "La montagne vorace" de Sara Schneider. Autant de textes qui jouent avec les inquiétudes inavouées du lecteur: qu'y a-t-il au fond de la grotte, est-ce vraiment sûr?

Le motif de la folie, enfin, apparaît à plus d'une reprise dans un recueil qui, déclinées sur le mode fantastique, mettent à rude épreuve la raison des personnages mis en scène. Il y a ainsi quelque chose de frénétique, porté aussi par une forte énergie sexuelle mi-souhaitée mi-rejetée, dans "Lumière noire" de Dunia Miralles (on l'a lue dans le recueil de nouvelles fantastiques "Folmagories", entre autres) ou dans "Dans l'ombre de la folie" de Nicolas Genoud, nouvelle tendue, portée par un remarquable crescendo dans l'horreur.

Femmes maladives, monstres tels que le dahu revisité entre mythe canularesque et vecteur de folie dans "Au sommet" d'Alice Jeanneret (la plus jeune des auteures du recueil, distinguée par le PIJA en 2024), fascination pour la nuit et pour une nature riche en secrets et mystères envoûtants, humains confrontés à l'étrange: "Sous nos monts hallucinés" remet au goût du jour les figures imposées du romantisme noir. En s'ancrant dans des lieux familiers de Suisse romande, situés entre monts et gouffres, les nouvelles fantastiques qui constituent ce recueil plongent aux racines de la tradition fantastique pour créer de nouvelles légendes qui donnent le frisson, entre ambiances à l'ancienne et actualité résolue.

Collectif, Sous nos monts hallucinés, Vevey, Hélice Hélas, 2025. 

Avec des nouvelles de Mélanie Chappuis, Nicolas Genoud, Olivia Gerig, Julien Hirt, Alice Jeanneret, Pierre Yves Lador, Dunia Miralles, Stéphane Paccaud, Fabrice Pittet, Catherine Rolland, Sara Schneider, Jean-François Thomas et Lucien Vuille. Le site des éditions Hélice Hélas.

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