Nétonon Noël Ndjékéry – Imaginez qu'au Tchad, un papillon s'agite. Et que ça fiche le bordel jusqu'en extrême-orient russe, en passant par la Suisse. Vous avez dit mondialisation? Porté par le génie d'une indéniable faconde de conteur, "Mosso", roman de l'écrivain tchadien Nétonon Noël Ndjékéry, en donne une image atypique et drôle, avec des hommes et femmes d'affaires pour le moins inattendus.
Tout débute avec les avances de Dendo Korom à l'attention de celui qui deviendra son mari au terme de circonstances troubles et peu propices à l'amour profond. Cela dit, ils vont quand même s'apprécier, s'aimer, se lire des livres, manquer avoir un enfant. A telle enseigne que lorsque son mari Seydou Nadoum se fait écraser sur une route de Ndjamena, Dendo refuse la diya, réparation monétaire du chauffeur de camion qui a écrasé Seydou dans des circonstances pas nettes, et préfère savoir qui est le véritable assassin. C'est que deux bonshommes suspects en djellaba blanche rôdaient dans les parages... et que Dendo ne croit pas à la thèse de l'accident, même si les lieux s'y prêtent.
Diya: voilà le diable qui s'immisce dans les pages du roman. L'auteur l'explique brièvement puis, au fil de péripéties qui semblent à la fois drôles et tragiques, en montre les effets pervers, fondés en particulier sur le caractère aléatoire et contraignant de ce qui n'est autre chose qu'une manière d'amende financière réglée à l'amiable entre les parties. On comprend que l'affaire peut être sans fin, puisqu'il se trouvera toujours des ayants droit pour réclamer leur part en racontant mille histoires (et l'auteur ne se prive pas d'en donner de flamboyants exemples). La fuite à l'étranger elle-même ne suffit pas à se mettre à l'abri de cette servitude financière.
Et puisqu'on parle de gens d'affaires... pour le coup, nous voilà à expliciter le titre de ce roman riche en péripéties. Au Tchad, en effet, on désigne par le terme de "Mosso" les femmes d'affaires qui s'adonnent à des trafics lucratifs tout en se prétendant constamment sur la corde raide, à deux doigts de tomber. Sous l'impulsion de sa copine Roxane, c'est ce que devient Dendo, et elle a le flair de n'importe quel homme d'affaires blanchi sous le harnois: un article de journal la dissuade par exemple de ramener du Viagra de Paris, où elle se fournit, parce que le marché tchadien sera tué par un homme politique qui compte en distribuer gratuitement à ses électeurs.
Reste que se rendre à Paris, c'est une aventure quand on part seule de Ndjamena. C'est avec un grand luxe de détails cocasses que l'auteur relate le passage de Dendo à l'aéroport de Ndjamena: une douanière pointilleuse, des voleurs à la tire, un ange gardien soudain, et même le chef du protocole du pays qui lui fait des avances à caractère salace, tout en essayant de se cacher de son épouse, jalouse bien sûr, qui est "la nièce préférée du président". Rocambolesque, magistral, l'épisode n'est toutefois pas gratuit: l'auteur sait faire vivre, à distance, les personnages qui hantent l'aéroport – un carrefour où se joue une partie d'une vie de femme.
Et puis il y a la Suisse... pays où l'on mange la vie, mais aussi paradis truqué, si l'on en croit l'image renvoyée par un écrivain qui se contente de regarder d'un œil amusé, sans juger. C'est là que Dendo, amie de Roxane la "Barbie noire", va trouver un requin plus gros qu'elle et qui va l'avaler. Bien sûr, le passage des frontières par les Tchadiens est un thème récurrent dans "Mosso", et le passage de la France à la Suisse va paraître étonnamment facile à une Dendo qui a eu tant de mal à arriver en France en avion. Puis l'auteur dessine quelques semaines d'une vie faite de tournées des grands-ducs en compagnie d'un homme d'affaires suisse au-dessus de tout soupçon, nommé Bastien Grognuz.
Au-dessus de tout soupçon, vraiment? Tout se paie, jusqu'à la dernière bouteille de champagne... et le plus gros des requins de l'aquarium croquera tout le monde. Mais avant, la destinée de Mosso en Suisse apparaît en demi-teinte: si le champagne est bon et fait oublier les soucis, c'est quand même dans une prison dorée que l'auteur la place: elle est privée de papiers, à la merci d'hommes qui, peut-être, voudront bien de cette veuve trentenaire, belle encore. D'autant plus que de son côté, elle n'est pas insensible au charme de l'argent. Reste que l'auteur concocte à Dendo une belle prison helvétique bien dorée, dont on ne sort qu'expulsée lorsqu'on est sans-papiers ou victime d'un trafic de femmes à destination de la Russie. A peine mieux que la prison de la diya, qui vaut condamnation à payer sans fin.
Dieu et le diable, enfin, trouvent leur chemin dans "Mosso", un roman qui dessine des mentalités marquées par la superstition. L'auteur le marque dès le départ, indiquant que le slip de Seydou, officiellement célibataire endurci, est "la dernière résidence officielle du Diable". Fallait-elle qu'elle tentât ce Diable, qu'elle y mît les doigts? En tout cas, le fantôme de Seydou hante le roman, lui conférant un côté surnaturel porté par le thème classique et flatteur du livre, conçu comme un trait d'union. Le fantôme? On pourrait même dire "l'esprit", tant l'esprit du champagne rapproche Dendo de son défunt mari, qu'elle croit entendre dans les vapeurs de l'alcool – à défaut de l'esprit des livres, à un moment donné.
Riche en péripéties qui dessinent avec humour une vision inattendue d'une mondialisation dont le terrain de jeu est l'Ancien Monde et où les cultures s'entrechoquent, "Mosso" relate aussi la destinée d'une femme déterminée, qui n'a pas froid aux yeux, à l'aise sur le terrain tchadien qu'elle connaît bien. L'auteur la balade dans un monde qui ne l'attend pas, et qu'il décrit avec un regard vif et précis pour dire que même (et surtout) les paradis tels que la Suisse ont leurs côtés sombres, fatals pour celles et ceux qui ne s'en méfient pas – cela, en contrepoids à la description Tchad vu comme un terrain connu dont Dendo sait faire façon. Tout cela, avec une écriture d'une poésie à la fois naturelle et incroyablement riche, portée par des formules et images, drôles ou non, qui épatent et émeuvent par leur justesse et leur nouveauté.
Nétonon Noël Ndjékéry, Mosso, Gollion, InFolio, 2011.
Le site des éditions InFolio.
Je n'ai jamais entendu parler de ce livre mais à lire ta belle chronique ça m'intrigue... je le note donc !
RépondreSupprimerBonne journée !
C'est un excellent roman en effet, à essayer! Bonne journée à toi, et porte-toi bien!
RépondreSupprimerC'est la première fois que j'entends parler de ce livre et j'ai déjà hâte d'en faire la lecture!
RépondreSupprimerC'est un roman (et un auteur) qui mérite d'être découvert, en effet!
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