mercredi 2 janvier 2019

Jean-Pierre Bours: Faust revisité

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Jean-Pierre Bours – Parti dans le monde des intrigues au temps de la Réforme et de Martin Luther avec "Indulgences", l'écrivain belge Jean-Pierre Bours a décidé, encouragé par sa maison d'édition, de poursuivre dans la même veine. "Tentations" s'inscrit donc dans le prolongement d'"Indulgences", et couvre en somme la génération suivante.


Ce faisant, il précise des possibilités déjà inscrites dans "Indulgences". Il reprend le personnage de Gretchen, qui devient naturellement Margarete, une jeune femme qui va trouver sur sa route la figure légendaire de Johannes Faust – qui, sur ce coup-ci, fait figure de pivot entre la réalité historique et le monde du roman. Du premier roman, enfin, l'écrivain récupère le personnage de Méphistophélès, auquel il donne véritablement la parole dans "Tentations". Du coup, le lecteur se retrouve plongé dans une relecture moderne et généreuse du mythe de Faust.

Faust? Son pacte avec le Diable? L'écrivain est conscient de s'inscrire dans une longue tradition artistique: Goethe, Berlioz, Gounod, Delacroix ou Busoni, pour n'en citer que quelques-uns, s'y sont attaqués, chacun dans son domaine artistique de prédilection. Jean-Pierre Bours adopte une posture novatrice en inscrivant le mythe de Faust dans la dynamique d'un roman historique tel qu'on en écrit aujourd'hui, réaliste et fouillé, pour ne pas dire érudit, naviguant constamment entre la grande et la petite histoires, si incroyables ou surprenantes qu'elles puissent paraître parfois.

Méphistophélès prend donc la parole dans ce roman. En de longs chapitres qui semblent faire du démon l'instigateur de l'intrigue, l'auteur campe un personnage pragmatique et déterminé, non dépourvu d'humour bien à lui (surtout s'il faut jouer avec les mots et les doubles sens, mais avec modération), qui n'a pas son pareil pour cibler les faiblesses des hommes qu'il est amené à côtoyer pour pactiser. Il n'est qu'à voir son approche de Jean Savonarole, qu'il voit comme un radical pétri, ô péché suprême, d'orgueil. La manière qu'a Méphistophélès de le percer à jour rappelle, en notre époque de convictions d'autant plus rigides qu'elles sont fondées de manière boiteuse, qu'un pur autoproclamé n'est rien d'autre qu'un homme ou une femme possédé par celui qui divise: le Diable.

Reste que les contacts entre Faust et Méphistophélès ont tout du secret inavouable. S'inspirant de la lecture que Goethe fait du mythe, l'auteur de "Tentations" voit entre eux un pari plutôt qu'un pacte valable 24 ans. Et seul un amour immense, inconditionnel, permet à Faust, homme torturé et médecin génial donc jalousé, d'avouer le fond de l'affaire à Margarete, celle qu'il aime.

Médecin génial? Au travers de Johannes Faust, l'auteur dessine le bouillonnement qui saisit la médecine en pleine Renaissance, en particulier en recréant les enjeux des dissections publiques: trouver des cadavres, les disséquer face à un auditoire d'étudiants, comprendre l'anatomie et la physiologie, etc. Ce bouillonnement saisit l'Europe tout entière, offrant à l'écrivain un terrain de jeux immense. Invité à quitter la ville allemande de Wittemberg où naît la Réforme, le lecteur est baladé sur les traces de Faust, médecin de renom international, dans la Cracovie de Pan Twardowski, le légendaire Faust polonais, mais aussi du côté de la Rome des Borgia, ou alors à Ferrare, sur la trace de tout un monde d'intrigues autour de Lucrèce Borgia, dont l'auteur s'efforce de mettre en valeur la face la plus lumineuse, celle de protectrice de la ville de Ferrare. Autour d'elle, se profile la figure d'Isabelle d'Este, qui pourrait être, selon une hypothèse historique parmi d'autres, le modèle de la Joconde de Léonard de Vinci...

La Réforme interpelle de plus en plus de fidèles, l'humanisme se déploie dans toute une Europe encore pétrie d'ancestrale culture chrétienne: dans un tel contexte, qui ouvre la porte à la description de mythes et d'intrigues romanesques guerrières (Marignan et Henri IV) ou amoureuses (les frasques du jeune Paolo), "Tentations" apparaît comme un roman séduisant, lent et ample. Il pose un regard moderne et respectueux, jamais pris en défaut, sur un mythe ancestral. Et après "Indulgences", force est de constater que l'auteur, visiblement captivé par son sujet, ne s'essouffle pas dans "Tentations".

Jean-Pierre Bours, Tentations, Paris, HC Éditions, 2018.

Le site de HC Éditions.



2 commentaires:

  1. Un grand merci pour cette très belle analyse. C'est un plaisir de se voir si bien compris. Jean-Pierre BOURS

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    1. Merci à vous pour les heures de lecture! Je me réjouis de lire vos prochains romans.
      Et je vous souhaite une bonne nouvelle année!

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