samedi 19 janvier 2019

"Fondre", une course tragique contre tous et contre soi-même

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Marianne Brun – Le roman "Fondre" aurait mérité de se trouver dans la collection "Uppercut" des éditions BSN Press  n'était la longueur. Il n'empêche que cette maison d'édition a eu la main heureuse en accueillant ce texte, qui évoque le destin de l'athlète somalienne Samia Yusuf Omar, qui court à en perdre haleine, puis entend rejoindre l'Europe afin de participer aux Jeux Olympiques de Londres. Une histoire vraie, quoique librement adaptée, et tragique: en 2012, l'athlète a disparu en mer Méditerranée, comme de nombreux migrants.


L'auteure excelle à recréer des états d'esprit. Sous sa plume, on sent la détermination farouche de l'athlète derrière un tempérament apparemment effacé. Il semble qu'aucun obstacle ne puisse l'arrêter – et cela, dès les premières pages, qui décrivent avec une précision confondante les impressions qu'on ressent lorsqu'on court: littéralement, on y est, on est Samia. Une Samia qui est du reste toujours désignée par son prénom: le personnage du roman ressemble à son modèle, mais l'auteure a fait œuvre de romancière en comblant les lacunes de son parcours et en réaménageant son histoire.

Dans son parcours – une vraie course d'obstacles, contre son monde mais aussi contre elle-même – Samia, musulmane, trouve une alliée en la personne de la journaliste Teresa Krug, de la chaîne de télévision Al-Jazeera, qui a certes son propre agenda. Du coup, entre l'islam et l'humain, on voit émerger deux notions de la foi. Il y a celle en une divinité, qui paraît favoriser le fatalisme et la soumission: Dieu donne, ou pas, pour Samia. Et celle en l'humain, celle de Teresa Krug (mais pas celle du comité olympique somalien, présenté comme indolent et bureaucratique), qui investit et s'investit en faveur de Samia: une foi qui ne soumet pas, mais libère et élève.

Cela intervient dans un contexte bien dessiné aussi: l'une des idées récurrentes est que l'Afrique s'efforce de se construire de nouvelles mythologies bien à elle, y compris à travers le sport. Dès lors, la délégation somalienne aux Jeux Olympiques de Pékin (2008), si dérisoire qu'elle soit (deux athlètes: Samia Yusuf Omar et un homme, Abdinasir Saeed), apparaît comme un immense espoir. Espoir déçu, disqualifiant pour la jeune femme, qui apparaît comme une paria après son échec sur 200 mètres – une inscription erronée à une compétition qu'elle n'a pas préparée.

Le lecteur a l'impression, ici, que si le pays a bien voulu envoyer une femme aux Jeux Olympiques pour remplir les conditions du CIO, il ne faudrait pas qu'en plus, elle s'illustre... et que son échec est le résultat d'un complot. Du coup, c'est le thème de la condition féminine en Somalie qui apparaît aussi, marquée par l'islam et en particulier par les exactions du groupe terroriste Shebab.

En une centaine de pages, la romancière Marianne Brun brosse ainsi le portrait d'une jeune femme morte en mer pour une vocation: la course à pied. Avec ce petit livre fort, elle s'inscrit dans la lignée d'autres ouvrages prenant Samia Yusuf Omar et son destin tragique comme modèle, par exemple "Ne me dis pas que tu as peur" de l'Italien Giuseppe Catozzella.

Marianne Brun, Fondre, Lausanne, BSN Press, 2018.

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