vendredi 4 janvier 2019

Histoire et amours au temps de l'Escalade à Genève

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Henri Gautschi – Ah, l'Escalade, cet épisode historique d'une nuit qui a marqué l'histoire genevoise! Cela, à telle enseigne qu'aujourd'hui encore, cette péripétie est évocatrice. A-t-on tout dit de cet événement qui a marqué la nuit du 12 décembre 1602? L'auteur Henri Gautschi, passionné d'histoire locale, a choisi de s'atteler à ce thème pour son premier roman. Cela donne "La nuit la plus longue", paru dernièrement aux éditions Encre fraîche. À Genève, comme il se doit.


L'histoire locale, est-ce barbant? Peut-être, si l'on se sent très loin des événements: ceux-ci sont anciens, et se sont sans doute déroulés loin de chez vous. Et oui: l'auteur place son récit du côté de Chancy, commune où il vit et qui l'a distingué pour ses travaux de recherche historique. Mais c'est dans la campagne genevoise, tout ça! On peut donc craindre que le lecteur se sente peu concerné. Comment le captiver? C'est un défi!

Mais en refermant "La nuit la plus longue", le lecteur constate que ces craintes ne sont guère fondées. L'auteur, en effet, sait embarquer le lecteur dans son monde, en utilisant les codes familiers des romans historiques, en particulier la personnalisation du propos.

Tout tourne en effet autour des personnages de Jean et Marianne, de jeunes gens que les circonstances amènent à se rapprocher, malgré les obstacles que représente la religion, à l'époque et du côté de Genève: la Réforme ne fricote pas avec les papistes, et réciproquement! Jean et Marianne, ce sont des personnages ordinaires ou presque: sur le marché, Jean vend des brouettes avec sa famille, et Marianne vend des légumes.

L'idylle est inévitable, et constitue un fil rouge idéal entre deux personnages attachants. Attachants? L'auteur renforce cette impression en leur donnant directement la parole tout au long d'un roman polyphonique qui alterne "je" et "il". Les chapitres à la troisième personne, imposant une prise de distance, sont quant à eux réservés aux personnages secondaires de l'intrigue, tels que la famille de Marianne et de Jean. L'auteur les utilise par ailleurs pour brosser le contexte historique et social.

S'il alterne les voix à sa manière, l'auteur adopte un ton assez uniforme tout au long du roman, refusant le jeu des contrastes excessifs. Ce ton uniforme se caractérise par une remarquable simplicité de l'écriture, faite de phrases courtes et immédiatement perceptibles par l'auteur. Les chapitres aussi sont courts. Directs et sages, confinant à la naïveté, ces choix d'écriture ne sont pas pour rien dans la capacité qu'a l'auteur d'intéresser à son propos le public le plus étendu.

Mais écrire simplement, cela ne signifie pas faire des concessions à la vérité historique! En fin connaisseur, l'auteur se montre précis sur l'essentiel, et excelle à recréer la vie des braves gens telle qu'elle était dans la campagne genevoise au début du dix-septième siècle. L'époque apparaît troublée pour cette région, partagée entre la France, la Savoie et ce qu'on appellera plus tard la Suisse. Autour d'une histoire d'amour qui se construit page après page, l'auteur dessine des escarmouches locales aux résonances européennes, mais qui touchent aussi les individus.

Et peu à peu, l'intrigue se resserre sur la nuit de l'Escalade, la plus longue selon le calendrier protestant d'alors, en décalage avec le calendrier catholique – un décalage qui joue d'ailleurs un rôle crucial dans "Crécelle et ses brigands", premier roman de Michaël Perruchoud, soit dit en passant. De façon plus précise, l'auteur recrée l'ambiance de cette nuit à Genève, citant même au passage la fameuse Mère Royaume et la soupe aux légumes bien connue qu'elle a balancée sur la tête des soldats savoyards pour les arrêter. Des erreurs d'appréciation du côté savoyard, une poignée de morts à Genève, un peu plus chez les Savoyards: en quelques chapitres, le lecteur saisit l'essentiel, y compris quelques astuces de stratégie militaire.

L'essentiel: oui, l'auteur va à l'essentiel, et son roman est semblable aux dessins simples qui illustrent le livre, eux aussi signés Henri Gautschi. Cet essentiel, c'est un cadre historique posé en allant au plus court, sans recherche de vérités alternatives ou de relecture de l'épisode, soucieux avant tout de paraître vrai. Mais c'est aussi une histoire porteuse d'un sentiment qui dépasse les querelles humaines: l'amour. Et grâce à une belle idée en matière de focalisation, cette histoire d'amour prend le premier plan et prend le lecteur par la main pour traverser tout ce premier roman.

Henri Gautschi, La nuit la plus longue, Genève, Encre fraîche, 2018. Illustrations de l'auteur.

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