Fred Bocquet – A la suite d'une chute fatale dans la salle de bains, Norbert décède... et se retrouve réincarné en chien. Pas n'importe lequel: celui que sa femme acquiert, une bête de race. "Pas facile de rester le mâle dominant quand l'épouse devient la maîtresse", s'amuse le prière d'insérer de "Monsieur Quincampoix", le premier roman de Fred Bocquet. En le lisant, j'ai comblé une lacune: c'était le seul que je n'avais pas lu de cette romancière. Et ce fut drôle!
Le roman se construit autour de deux pistes qui se déroulent en alternance: la vie de Norbert telle qu'elle était avant sa chute fatale, et celle qu'il vit en tant que "Monsieur Quincampoix", ainsi nommé en hommage à Amélie Poulain. On découvre ainsi un Norbert qui assume son côté cavaleur et macho un peu vieille école, de maître en somme, boss du couple, considérant que sa femme est aussi sa propriété. Consentante, la femme: on la sent amoureuse, bonne pâte, avec ce que cela peut impliquer! Mais voilà: en tant que chien, faire le matamore, ça ne marche plus... et l'épouse aussi part à la dérive, godillant entre alcool (la vodka épaissie à force d'être gelée, image qui apparaît deux fois) et sites de rencontre.
L'auteure se livre dès lors à un bel exercice de changement de point de vue, relevant en lever de rideau les avantages et les inconvénients de la vie de chien: "Ma rage retombe alors soudainement, battue en brèche par le cocasse de la situation, et je me marre intérieurement: en définitive, pour lui complaire et la charmer, plus besoin de bijoux de prix, de restos aux chandelles, de week-ends à Florence: une offrande scatologique, une crotte de belle physionomie, suffit à son contentement", dit l'animal, non sans... cynisme. C'est que Norbert, qu'il soit humain ou chien, est un personnage déterminé qui sait trouver les avantages de chaque situation, allant jusqu'à uriner contre un portemanteau aux allures de réverbère pour arriver à ses fins.
Mais l'épouse ne calcule pas que Monsieur Quincampoix est la réincarnation de son défunt mari, ce qui offre à l'auteure l'occasion de revisiter le motif du quiproquo: certes jaloux comme un pou, Monsieur Quincampoix sait parfaitement évincer ceux qui auraient pu être ses rivaux, par exemple ce Hollandais marié mais impeccable au lit, ou ce lascar bien sous tous rapports qui a ramené son carnet Moleskine à la veuve. Tout cela, sans que cette dernière ne comprenne rien à ce jeu: pour elle, il s'agit juste d'un caprice de chien. Et ses méthodes amusent.
La veuve de Norbert n'a certes pas compris que son chien était la réincarnation de son mari. Vraiment? Il est permis de noter qu'en le nommant "Monsieur Quincampoix", elle lui donne le nom d'un amoureux de cinéma. Un homme qu'elle aurait voulu aimer? Ou mieux aimer que Norbert? On relèvera que le fameux Norbert, sur ses quatre pattes de bouledogue français à quatre pattes (et à oreilles qui pointent, spéciale dédicace à ceux qui reconnaissent les bouledogues et les bulldogs – la couverture ne s'y est pas trompée), ne manque pas de se faire une bonne crise d'introspection qui va l'amener à tenter l'extrême pour revenir auprès de sa femme. Bien sûr, tout ne va pas se passer comme prévu...
Mais il y a quelqu'un d'encore plus finaud que l'épouse de Norbert, et c'est l'affreuse Ludivine, bibliothécaire intello sans grâce. Si elle est la meilleure amie de l'épouse de Norbert, elle est aussi une femme que l'époux a dans le nez, de façon freudienne: ils ne peuvent littéralement pas se sentir, ce qui donne lieu à des vannes bien envoyées. C'est elle qui paraît reconnaître Norbert dans le faciès de Monsieur Quincampoix. Comme si la détestation cordiale rendait malin, alors que l'amour rend aveugle comme on le sait...
Fred Bocquet n'est certes pas la première écrivaine à se mettre dans la peau d'un chien: on pense entre autres à l'épicurien roman "Os" de Louis Lerne, au chien enquêteur de "Zhong" d'Annick Mahaim, ou même à l'aimable "Le tour du quartier" de Pierre De Grandi. L'auteure de "Monsieur Quincampoix" se distingue cependant par l'humour résolument mordant, parfaitement de circonstance, qu'elle met dans son récit: loin des animaux débonnaires ou finauds qu'on a pu voir, Monsieur Quincampoix est un animal bien teigneux, qui tient à marquer son territoire et en a parfois un peu marre de se faire renifler le cul, serait-ce par Sultane, la belle chienne berger allemand. Enfin, "Monsieur Quincampoix" brouille les limites entre l'animal et l'humain, convoquant la transmigration des âmes et suggérant qu'entre les animaux humains et ceux qui ne le sont pas, la frontière a quelques porosités. Une porte ouverte vers l'antispécisme?
Fred Bocquet, Monsieur Quincampoix, Genève, Faim de Siècle/Cousu Mouche, 2006/troisième édition 2012.
Le site des éditions Cousu Mouche, celui des éditions Faim de Siècle.
Lu par 2cowpadm, Vinushka64.
Je n'ai encore jamais lu un tel livre, l'idée est originale et m'intrigue.
RépondreSupprimerMerci pour cette belle chronique, je note ce titre !
Je te le recommande: c'est vraiment amusant.
SupprimerJe t'en souhaite une bonne découverte!
Coucou,
RépondreSupprimerJe trouve l'idée du livre vraiment originale ! C'est sympa et ça change un peu de ce qu'on peut lire habituellement :)
Bonjour!
SupprimerOui! En plus, l'idée est traitée avec humour et mordant, si j'ose ainsi dire.