Thierry Covolo – "La plus jeune des frères Crimson", c'est la Route 66 personnelle de l'écrivain lyonnais Thierry Covolo, qui signe là son premier recueil personnel après avoir glané plus d'un prix et donné à des revues et ouvrages collectifs un certain nombre de ses nouvelles au parfum très américain.
Le lecteur est frappé par le caractère éminemment concret des nouvelles du recueil, toutes travaillées au plus près de l'action, sans lyrisme superflu, sans la tentation de l'expérimentation gratuite. Cette manière de construire ses nouvelles permet à l'auteur de creuser ses personnages, par exemple l'autostoppeur de "Billy Rank est un type super", dessiné au travers des regards des automobilistes qui le font voyager à travers les Etats-Unis, mais aussi du propre point de vue du personnage, qui parle à la première personne et a des idées bien arrêtées. Ainsi naît un personnage riche en zones d'ombre et de lumière, bien construit à la base, à la personnalité forte.
Les décors sont aussi soignés, sans exhibitionnisme – juste ce qu'il faut pour que le lecteur soit embarqué. Ils donnent à voir les Etats-Unis dans leur profondeur, avec ses motels anonymes ("Les bottes de Bob"), ses prisons ("Ma' Grossman, ça va être ta fête", savoureuse nouvelle à chute: la vieille dame qui a survécu aux camps de la mort nazis va-t-elle résister à un cambriolage?), et même la campagne généreuse du pays. L'auteur fait une concession finalement agréable au tourisme en évoquant Las Vegas et ses pièges à touristes dans "Dernière illusion", une nouvelle avec de vrais-faux morceaux de Frank Sinatra dedans. Mais l'illusion touristique entre ici en résonance avec une autre illusion: celle qu'un bistrot pourra durer toujours, offrant un job à vie à l'employé qui y travaille en cuisine. Or, aux Etats-Unis autant qu'ailleurs, comme qui dirait, "business is business"!
Mais les Etats-Unis sont aussi présents dans de petits détails auxquels on ne pense pas forcément, mais que l'écrivain considère avec attention et restitue de façon naturelle. Il y a en particulier le tropisme religieux qui affleure régulièrement, comme par hasard, rappelant que le christianisme reste vivace aux Etats-Unis. Il y a aussi le rapport entre races, toujours sensible et problématique, illustré de manière sensible, sans dramatisation excessive dans "Train de vie" – qui rappelle d'ailleurs que le chemin de fer a aussi marqué l'histoire du pays de l'oncle Sam. Tout au plus pourra-t-on être surpris par une allusion à la "gendarmerie" dans l'une des nouvelles, "Hugo", certes située dans un pays plus au sud que les Etats-Unis.
"La plus jeune des frères Crimson", ce titre à la syntaxe étrange, est aussi celui d'une nouvelle du livre, et le lecteur y trouvera la clé de ce déterminant féminin a priori incongru. Une parmi dix, qui offrent au lecteur un voyage personnel aux Etats-Unis, donnant à voir un pays profond, entre misère, rêve et voyages incessants, entre envie de fortune et ruralité. Le lecteur croisera au fil des pages des personnages quasi anonymes, ordinaires, des gens qui portent des prénoms à une seule syllabe. Tout cela forme un pays qu'on a l'impression de connaître ou de reconnaître, si l'on est familier des écrivains des Etats-Unis. Avec sa sensibilité d'auteur français, Thierry Covolo invite quand même ses lecteurs à y refaire un tour, parce qu'il y a peut-être encore quelque chose à découvrir. Et oui: pour qui sait y voir, il y a encore du neuf, et c'est du bon.
Thierry Covolo, La plus jeune des frères Crimson, Louvain, Quadrature, 2018.
Le blog de Thierry Covolo, le site des éditions Quadrature.
Lu par Goliath, Yves Mabon.
Un grand merci pour cette chronique de mon recueil, tellement juste dans sa perception de ce que j’ai cherché à partager.
RépondreSupprimerUne précision toutefois : 2 des nouvelles ne sont pas nord-américaines (Hugo, qui se place plus au sud, et cela explique les gendarmes, et La plus jeune des frères Crimson qui pour sa part est londonienne)
Bonne continuation
Thierry
Bonsoir! Je vous remercie de votre retour, ainsi que pour les heures de lecture que votre recueil m'a procurées. J'ai ajouté la précision du "sud" concernant Hugo, aux personnages hispanisants il est vrai. Bonne continuation et bonne fin de semaine à vous!
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