mercredi 23 mai 2018

Le Cotentin, sous le signe du secret

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Monique Rebetez – Roman pluvieux, roman heureux? C'est alors que la pluie tombe inlassablement par ici que j'évoque ce soir le premier roman de l'écrivaine jurassienne Monique Rebetez, "Passage de la Déroute". L'éditeur promet un roman bâti avec humour, entre autres; c'est bien plutôt en mode mineur, avec un suspens accrocheur, que le lecteur est embarqué dans une intrigue marquée par le secret qui ronge, autour d'un couple usé.


Le couple, c'est Claire et Alexandre. C'est presque par hasard qu'on apprend leurs prénoms, et à peine si l'on sait leur nom de famille. Un couple quelconque donc, pour ainsi dire anonyme. Un couple, aussi, qui veut se donner la chance d'y croire encore, en s'offrant des vacances au nord de la France. Voyageur par profession, en particulier, Alexandre y tient, même si c'est pour faire semblant d'être avec sa femme. Assez vite, en effet, le lecteur est amené à se demander ce que ces deux personnes peuvent bien faire ensemble.

Tout commence en effet avec un élément énorme: au détour d'une conversation avec une pianiste virtuose et farouche qui habite la même pension de famille qu'eux, Claire évoque sa fille. Une fille dont Alexandre, son mari pourtant, n'a aucune connaissance... Le coin du voile est levé.

L'auteure, dès lors, explore les secrets que chacun des conjoints a entassés, autour d'un pacte qui, entre autres, prévoit qu'il n'y aura pas d'enfant entre eux et envisage avec souplesse la notion de fidélité du couple. Chacun a ses mystères, ses parts d'ombre. L'auteure décrit de manière réaliste les rendez-vous pathétiques d'Alexandre, vécus en marge de séminaires professionnels: il est permis de sourire aux descriptions lamentables des femmes qui l'accompagnent.

De façon plus grave, elle dessine aussi, par le biais de dialogues ciselés avec exactitude dans leur teneur, le débat sur l'opportunité pour Claire d'avouer à Alexandre qu'elle a perdu un enfant et qu'elle n'en aura jamais plus en raison d'un problème de santé. Tous deux invouables, ces secrets ont des racines bien différentes... et contribuent à ce que peu à peu, Claire et Alexandre s'éloignent. L'auteure fait donc de leur voyage en Normandie, sur les plages du Débarquement, un moment de vérité. Pas sûr que les masques vont vraiment tomber, toutefois.

Les mystères du couple font écho à ceux, d'une portée plus vaste, liés à l'exploitation des installations nucléaires de La Hague et de Flamanville. Claire et Alexandre sont amenés à s'y intéresser grâce au personnage de la jeune pianiste virtuose, Laly, orpheline: ses deux parents sont morts accidentellement, mais la rumeur dit que cet accident a quelque chose de bien organisé, pour préserver les secrets sales de l'industrie nucléaire.

Claire et Alexandre mènent l'enquête de leur côté, et l'auteure a le génie d'explorer ainsi deux pistes bien différentes, fondées sur la personnalité de ses deux personnages. Claire joue la carte du relationnel et de l'empathie en faisant ami-ami avec la pianiste, faisant appel à ses souvenirs. On peut certes se demander si une musicienne repentie (Claire, donc) qui connaît le deuxième concerto de Shostakovitch ne devrait pas aussi connaître telle oeuvre de Schumann, et certains éléments de la relation ont leurs limites: le rapprochement entre Shostakovitch et la soupe est pour le moins hasardeux... De son côté, Alexandre mène une enquête de voisinage bien cérébrale qui va l'amener à découvrir le fin mot de l'affaire concernant les parents de Laly. Pourra-t-il le partager?

Tout cela se déroule dans le cadre chargé d'histoire de cette Normandie du Débarquement, hantée par les fantômes de milliers de soldats, que l'auteure montre avec une grande et sobre exactitude. Le silence des morts de naguère est-il le garant des secrets d'aujourd'hui? Taiseux, les Normands du roman sont présentés comme peu désireux d'éclats, quitte à courber l'échine face au mensonge. Et de façon plus générale, le courage n'est pas la qualité première des personnages de "Passage de la Déroute".

C'est donc peu à peu, en dernier ressort, que les lecteurs de ce roman découvriront le fin mot de l'affaire, un fin mot que les personnages eux-mêmes lâchent comme à regret: il y faut des discussions inlassables, des lettres mille fois réécrites. Il est permis, du coup, de voir le titre "Passage de la Déroute" comme le rappel d'un lieu géographique bien identifié, mais aussi comme l'annonce de la déroute d'un couple, de quelques Normands, voire d'une région tout entière, bernée par les promesses lénifiantes du nucléaire.

Monique Rebetez, Passage de la Déroute, Lausanne, Favre, 2018.


Le site des éditions Favre

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