Quelques séquences dans un monde post-cataclysmique: c'est la structure de "Remington", dernier roman de l'écrivain français Christophe Ségas, paru dernièrement en coédition aux éditions Hélice Hélas (Suisse - merci pour l'exemplaire!) et Le Nouvel Attila (France, Belgique). Première impression: le lecteur se trouve en présence d'un beau livre à la typographie étudiée, reproduisant les caractères des machines à écrire (Remington contre Underwood), jusqu'à reprendre leurs ratés. Que du bonheur pour les yeux, et aussi un paradoxe: le monde post-cataclysmique va-t-il donc s'écrire avec ces bonnes vieilles mécaniques?
Le personnage principal de "Remington" est une vieille machine à écrire, que l'auteur fait passer entre les mains d'une poignée de personnages désireux de témoigner de leur époque. Il ne cache pas que ce mode de témoignage est un peu en porte à faux avec une époque où le pragmatisme prime la création et où peu de gens savent lire et écrire. Sur des modes narratifs divers, cependant, chacun des témoins installe des récits qui ont valeur de futures légendes, fondées sur des types bien campés.
Dès le début, et cela peut surprendre, l'auteur installe un climat de fascination pour une époque révolue: pour les personnages qu'il met en scène, c'était mieux avant - avant ce cataclysme non décrit qui prend des noms divers: Klash, Reset, Flash. Ce n'est donc pas un hasard si le premier témoin de son époque est un archéologue, Kassil, qui fouille passionnément la terre à la recherche de témoins d'antan. Ce n'est pas un hasard non plus si plus d'un personnage cherche, au fil des pages, à recréer plus ou moins consciemment un mode de vie qui se rapproche de ce qu'il y avait avant le cataclysme, par exemple en créant - c'est le but de Jean-le-Petit - des engins volants alors que personne n'y croit.
Jean-le-Petit, c'est d'ailleurs la technique qui vient au monde, et il fait figure de Léonard de Vinci en plus jeune. A travers lui, on découvre un clavecin qui a bien besoin d'être réparé, de même que la Remington. C'est aussi un peu d'intelligence dans un monde où la tentation de l'obscurantisme, religieux ou athée, est présente. Obscurantisme athée? Il se manifeste au moment où l'auteur décrit la réinvention du rugby (ce mot n'est pas utilisé, mais une allusion à William Webb Ellis, son inventeur légendaire, met le lecteur sur la voie), puis décrit la fin d'un match dont le ballon est remplacé par la tête d'un dignitaire religieux, Albert, coupée par des opposants fanatiques.
La réinvention d'un monde passe aussi par la recréation des mots. En la matière, l'auteur se montre astucieux en développant des étymologies imaginaires. On aimera donc la manière dont sont ressuscités les mots "pédalo" et "montgolfière". Et l'on reste pantois face au jeu de lettres et d'anagrammes cabalistique autour de Remington, dont le fin mot est donné en fin de roman - porte ouverte à un nouvel obscurantisme...
Dans un monde où la survie et le pragmatisme sont prioritaires, finalement primitif, l'écrivain met en scène une poignée de personnages désireux de donner une valeur supplémentaire à leur vie et à l'humanité en général. Dans un esprit positiviste, il met encore en scène un artiste alcoolique dont la création fascine et intéresse, mais est considérée comme un luxe par des êtres qui se considèrent comme plus productifs. Il campe également une Suzann désireuse de créer un musée, à l'ancienne, et d'y installer ces oeuvres, quitte à les voler. N'est-ce pas, là encore, le signe de l'émergence d'un besoin humain, irrépressible, de laisser une trace dans le monde? Tous ces personnages désireux, par l'art, par la science ou par le témoignage, seraient dès lors les parangons des créateurs d'aujourd'hui, campés dans un monde où tout est à réinventer, avec la nostalgie d'un passé réputé meilleur: un âge d'or, une ère classique en somme...
Christophe Ségas, Remington, Vevey/Paris, Hélice Hélas/Le Nouvel Attila, 2017.
Oooh mais c'est que ça m'a l'air bien original ça ! Une vieille machine à écrire comme personnage principal, un monde post-cataclyscmique, une typographie étudiée... Merci pour cette trouvaille !
RépondreSupprimerOui, une saine lecture! Moi, ça m'a changé un peu de ce que je lis d'ordinaire...
RépondreSupprimerEt comme il est coédité en Suisse et à Paris, tu devrais pouvoir le trouver près de chez toi, même si la couverture sera peut-être différente.