Lu par Francis Richard.
L'affirmation de soi, voilà un vaste programme! Il y a en tout cas suffisamment de matière pour en faire un roman. La romancière suisse Hélène Dormond s'y est mise, et cela donne "L'Envol du bourdon". Fondé sur un important bagage psychologique, tempéré par un zeste rafraîchissant d'humour, son deuxième roman revisite certains codes de la chick lit en les déclinant au masculin: c'est ce qu'elle appelle la "Coq Litt".
Rédigé à la première personne du singulier, "L'Envol du bourdon" invite le lecteur à se mettre dans la peau de Marcel Tribolet, un bonhomme qui a si peu confiance en lui qu'il finit par en avoir des aigreurs d'estomac. Sur les conseils de Géraldine Meizoz, la psychologue, qui lui diagnostique un "déficit asservir assorti de troubles anxieux" (ça claque, non?), il va se reprendre en main. Et ça va faire des miracles, malgré quelques aimables maladresses. L'humanité du personnage central apparaît avec évidence, et on finit par le trouver attachant même si, parfois, on a envie de lui secouer les puces.
Derrière Marcel Tribolet, cherchez la femme! L'auteure campe plusieurs portraits féminins bien réussis, pleins de caractère, qu'on adorera parfois détester, à l'instar de la concierge, Mme Bally, qui paraît avoir avalé le "Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens" de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois afin de s'en servir à son seul bénéfice. On fera aussi la connaissance de Brigitte, l'épouse de Marcel, adepte du feng shui jusque chez elle (et chez lui), dont l'action n'est pas toujours désintéressée, puis de Sofia et Amandine, qui fonctionnent comme de puissants catalyseurs de l'évolution de Marcel côté sentiments, entre amour physique vécu à cent à l'heure et promesse d'un renouveau sentimental profond.
En mettant en scène un personnage qui peine à s'affirmer en certaines circonstances, l'écrivaine vaudoise donne quelques coups de canif dans le stéréotype du personnage de roman de sexe masculin, viril et fort en toutes circonstances. Cela, dans le contexte d'un monde moderne complexe et fascinant dont elle souligne les travers et les colifichets avec amusement. Avec Marcel Tribolet, on se retrouve donc dans un cours d'éveil du clown intérieur, dans une leçon de tantrisme, à un blind date pratiqué dans le noir, voire sur une scène de théâtre. Ou à regarder des séries à la télévision, une tranche de pizza à la main.
L'auteure recourt volontiers au procédé de la chute ou de la réplique qui tue pour provoquer le sourire du lecteur. Et les errements de Marcel Tribolet à travers les gadgets de notre temps, s'ils sont caricaturaux, lui apportent à chaque fois un supplément d'expérience et d'interaction avec les autres: d'ailleurs, "Tribolet", patronyme considéré comme en voie de disparition, est, selon l'écrivaine, un nom inspiré de la "tribologie", science qui, selon Wikipedia (et l'écrivaine, qui cite l'encyclopédie en ligne sans en rien changer), étudie les phénomènes susceptibles de se produire entre deux systèmes matériels en contact, immobiles ou animés de mouvements relatifs. Peut-on parler de tribologie appliquée aux humains, du coup?
Enfin, force est de relever que la figure de Marcel Tribolet, avec ses doutes et ses progrès, s'inscrit dans le cadre plus large de la crise de la quarantaine, qui oblige le personnage principal à se réinventer. Le fait que Marcel change de vélo, par exemple, s'avère symboliquement fort: jeter son vieux clou, c'est tirer un trait sur le passé. De même, il lui faudra faire avec un nouvel emploi au terme de turbulences dans l'entreprise, et avec une nouvelle compagne. Ces sujets peuvent être graves; en donnant des amis et des collègues masculins à Marcel Tribolet, là encore, l'écrivaine leur apporte un peu de légèreté. Et ne manque pas de dépeindre avec une belle vigueur les conversations des mecs entre eux.
Le lecteur intéressé ne se fiera pas à la couverture trop sérieuse, pour ne pas dire rebutante, choisie pour "L'Envol du bourdon"! Qu'il aille directement au contenu, qu'il découvre ce personnage qui, tel le bourdon, parvient à s'envoler même s'il est plus lourd que l'air: avec ce nouvel opus, Hélène Dormond signe un deuxième roman profondément humain et actuel, mais aussi pétillant, souriant et attachant, porté par une plume alerte.
Hélène Dormond, L'Envol du bourdon, Vevey, Hélice Hélas, 2017, postface de Pierre Yves Lador.
C'est vrai que la couverture, comme ça, n'est pas très engageante, alors que le sujet est très prometteur. Je note, ce roman pourrait bien m'amuser ! Et puis ce n'est pas tous les jours que je lis de la "Coq litt". :-)
RépondreSupprimerC'est rafraîchissant, en effet! Et la question de l'affirmation de soi est abordée avec le sourire. Je t'en souhaite une bonne découverte!
SupprimerPeut-être te faudra-t-il passer par l'éditeur pour passer commande: http://www.helicehelas.org .