vendredi 5 mai 2017

Sébastien Bohler, l'écrivain qui donne une seconde vie au méchant... et en suggère une troisième

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Franck Corsa fait partie des ces personnages méchants et intelligents qu'on adore retrouver au gré d'un roman. L'écrivain Sébastien Bohler a donc eu le nez fin en écrivant "L'homme qui haïssait le bien". Ce nouveau roman fait clairement suite à son premier roman, "Neuroland". Il convoque des personnages connus - même ceux qu'on a crus morts, Franck Corsa en tête. Mais enfin, un bonhomme pareil est si fascinant, si amoché qu'il soit, qu'il vaut la peine de lui donner une seconde vie!

Disons-le d'emblée: si "L'homme qui haïssait le bien" est un roman qui fonctionne assez bien tout seul, le lecteur qui découvre l'oeuvre de Sébastien Bohler avec ce livre pourra être quand même décontenancé: de manière générale, l'écrivain tend à considérer comme connue la trame de "Neuroland". Les personnages eux-mêmes fonctionnent, dans le second roman, sur des bases fixées dans le premier. Et le lecteur qui connaît "Neuroland" les retrouvera avec plaisir...

Une fois de plus, l'écrivain confronte les avancées de la science, qu'elles soient effectives ou hypothétiques, aux questions éthiques qu'elles soulèvent. "Neuroland" portait sur la lecture des pensées, sujet proverbial s'il en est, et ses implications morales. "L'homme qui haïssait le bien" postule qu'il est possible de soigner les grands criminels - un postulat qui n'est pas sans faire penser à "La Guérison des Dalton" (1975), bande dessinée signée Morris et Goscinny, qui mettait en scène un Freud au petit pied nommé Otto von Himbeergeist. Cela dit, "L'homme qui haïssait le bien" met en avant un attirail scientifique autrement plus costaud que celui qui sous-tend l'album de Lucky Luke...

En effet, nous sommes au vingt et unième siècle, un temps où les cellules souches font partie de l'arsenal thérapeutique. C'est par ce biais que les personnages de "L'homme qui haïssait le bien" considèrent qu'on peut soigner un criminel, quitte à opérer, à trépaner, à greffer. Pourquoi pas? Cela, d'autant plus qu'il y a un prix Nobel à la clé... et des entreprises pour fournir des neurones, tout ce qu'il faut, contre espèces sonnantes et trébuchantes. Quitte à ce que ce soit dégueulasse.

"L'homme qui haïssait le bien" est certes un roman moins spectaculaire que "Neuroland". Il est aussi un peu plus court, plus compact, conséquence du fait que l'auteur considère que le lecteur connaît le terrain. On peut aussi dire qu'il va un peu vite par moments, par exemple lorsque comme par hasard, Maria Svetkova rencontre une Indienne impliquée au niveau international dans la lutte contre le viol: vu la suite, et compte tenu des antécédents traumatisants de Maria Svetkova, c'est un coup de chance trop beau pour paraître vrai!

Mais ce nouveau livre, comme le précédent, confronte avec acuité les avancées de la science et les questions éthiques qu'elles posent. C'est autour de l'entreprise Ovotech que tout se cristallise: derrière l'irréprochable vernis, il est question d'avortements forcés, pratiqués sur les femmes d'une ethnie nicaraguayenne méconnue et fragile, moyennant des médicaments cédés trop cher. L'auteur recrée par ailleurs avec intelligence les tensions entre les intérêts politiques (objectif réélection), scientifiques (objectif Prix Nobel), humains (surmonter l'épreuve du viol, à travers le personnage de Maria Svetkova, dont la vie de couple avec Vincent Carat est justement problématique) et bassement financiers.

Cela dit, il est permis, en tournant les pages, de se demander si la guérison de criminels par la reconstitution de leur "faisceau unciné" est bien une bonne méthode: en voyant agir les personnages du livre, en particulier Franck Corsa, il est facile de se dire qu'on prend un peu à la légère cette méthode présentée comme novatrice. La rééducation paraît limitée, et un lecteur psychologue pourrait se dire que la méthode de guérison proposée est vouée à l'échec parce que le criminel soigné, à moins d'une rééducation vigoureuse, retrouvera rapidement ses réflexes anciens, pilotés par des neurones situés hors du faisceau unciné. Justement, c'est que que fait Franck Corsa... pour le plus grand plaisir du lecteur - qui se demande cependant si l'attribution du prix Nobel n'est pas un brin excessive dans le cadre de ce tout que ce roman met sur la table.

L'excellent méchant Franck Corsa s'éclate donc moins manifestement dans "L'homme qui haïssait le bien" que dans "Neuroland", et les jeux autour du faisceau unciné sont moins spectaculaires que la lecture dans les pensées - soit. Reste cependant que dans ce nouveau roman, l'écrivain cale une intrigue solide qui interroge le lecteur, en particulier sur les questions morales liées à la science - des questions qui touchent à la religion, comme le suggère le dernier chapitre, qui se déroule lors d'un office de funérailles où se confrontent plusieurs points de vue à ce sujet.

Enfin, l'écrivain a le souci de laisser son lecteur un brin affamé: en laissant pendants certains aspects importants de "L'homme qui haïssait le bien" (et avant tout en laissant courir l'affreux Franck Corsa, désormais acoquiné avec les Russes), il annonce de façon claire qu'il y aura un troisième roman autour du même univers, au moins. Et c'est une bonne nouvelle: écrit en chapitres courts et accrocheurs, "L'homme qui haïssait le bien" captive le lecteur, au sens fort, comme "Neuroland".

Sébastien Bohler, L'homme qui haïssait le bien, Paris, Robert Laffont, 2017.

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