Alors qu'Emmanuel Macron, nouveau Président de la République française, s'apprête à refondre le droit français du travail, il est utile de se plonger dans "L'introuvable sécurité de l'emploi". Signé Peter Auer et Bernard Gazier, cet essai représente un état des lieux d'un monde du travail en pleine mutation, qui a de quoi alimenter les réflexions en matière de travail plus de dix ans après sa parution – même si, depuis, les crises des subprimes et de la dette souveraine sont passées par là. Sans compter le virage numérique...
Après le rappel de l'évolution du marché du travail dans les nations avancées, marquée entre autres par la concurrence, les délocalisations, la précarité et le chômage, les auteurs exposent le modèle du "triangle d'or" de la flexicurité, à la recherche d'un équilibre entre la protection sociale, le droit du travail et du licenciement et les politiques actives de l'emploi. Cela, en rappelant que le modèle qui veut qu'un travailleur fasse toute sa carrière dans une seule entreprise qui le forme sur le tas a vécu: le monde du travail s'est complexifié avec les enjeux liés aux seniors (fins de carrière), aux femmes (ce qui introduit la question des inégalités) et à un personnel de plus en plus qualifié, qui talonne et fragilise les actifs de plus longue date. Cela, sans omettre les questions de précarité de l'emploi.
Les auteurs évoquent de manière critique le schéma de Gøsta Esping-Andersen pour distinguer trois modèles d'État-providence, dont les services sont fondés soit sur l'impôt, soit sur des cotisations, dégageant le modèle nordique/scandinave, le modèle anglo-saxon et le modèle méditerranéen/latin. Ils le complètent avec une analyse de la situation du marché du travail effectuée par l'OCDE: législation protectrice de l'emploi, contrats, délais de préavis, indemnités, les indicateurs sont nombreux pour dessiner des tendances.
Sur cette base, l'analyse porte sur la situation au Danemark (un pays caractérisé par un tissu économique où dominent les petites et moyennes entreprises), mais aussi, de façon descriptive, sur l'Autriche, vue comme un pays peu profilé en matière d'emploi et de flexicurité, mais qui réserve quelques idées typiques, par exemple un système proche du modèle américain du lay off and recall, où une entreprise qui licencie des collaborateurs parce qu'elle n'a momentanément plus de travail pour eux va être tenu de les rappeler si le carnet de commandes se remplit à nouveau.
Et pour illustrer la situation actuelle, les auteurs utilisent un exemple historique pour le moins original et attrayant: celui du génie musical Wolfgang Amadeus Mozart, vu comme un compositeur auquel son père Léopold, animé des meilleures intentions, voulait à tout prix trouver un poste fixe à vie (charge de musicien auprès d'un noble, un modèle en fin de vie à l'époque, et pour lequel Mozart n'était pas taillé), alors que le compositeur préférait travailler sur commande (le modèle de la génération de musiciens suivante). À partir de là, ils tracent un parallèle entre le monde actuel, à la croisée des chemins entre la fin du modèle de l'emploi à vie et l'avènement d'un système plus mobile, où l'un des enjeux consiste à accompagner l'actif tout au long de sa carrière: formation continue, soutien entre deux emplois, etc.
L'une des sagesses de ce livre est d'aborder un nombre important de cas internationaux plutôt que de se concentrer immédiatement sur la France. Ce qui le rend intéressant même pour des lecteurs non français! Cela dit, la quatrième partie se recentre sur l'Hexagone pour dessiner ce que pourrait être une mobilité protégée à la française: "Rencontrer l'Arlésienne?", interrogent-ils. Historique détaillé en mode mineur, rappel de plans sociaux manqués ou réussis en fonction des personnels ayant retrouvé ou non du travail après un licenciement collectif, cas des intermittents du spectacle qui pourrait inspirer d'autres voies: c'est là que les auteurs développent des pistes pour négocier la transition du modèle ancien de l'entreprise facteur d'intégration sociale par le travail à vie vers la nécessité de vivre au mieux avec un monde du travail plus souple. Cela, en faisant en sorte que les actifs ne soient pas les seuls à faire des efforts, et que l'emploi demeure décent (questions du temps partiel, des working poors). Novatrices ou provocatrices, ces pistes explorent ce qui se fait ailleurs ou prolongent ce qui existe déjà en France. Formation continue, question des 35 heures ou des accords de branche, rôle des syndicats dans le dialogue social, modalités d'intervention de l'État: les auteurs n'oublient rien. Et offrent ainsi, sur un peu moins de deux cents pages, des éléments de réflexion utiles.
Peter Auer, Bernard Gazier, L'introuvable sécurité de l'emploi, Paris, Flammarion, 2006.
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