Gwénaëlle Kempter – Voici une heureuse surprise dans le monde des lettres romandes: l'écrivaine Gwénaëlle Kempter revient avec un nouveau roman, "Némiah". C'est son ouvrage le plus personnel peut-être: librement inspiré de sa vie et de celle de ses proches, il retrace le destin d'une femme forte, farouchement libre, de son enfance jusqu'à son dernier âge, dans un Valais intemporel où les traditions restent vivaces, tout comme les secrets de famille avec lesquels il faut composer: "Mais ils finissent toujours par rendre les corps", dit l'un des personnages au sujet de ces glaciers qui deviennent la métaphore de cette vie qui finit toujours par faire resurgir la vérité qu'on a voulu cacher.
Dès le premier chapitre, l'auteure campe, rien qu'en l'observant agir, un personnage qui s'impose: Némiah, une fillette qui refuse de rester à l'écart des affaires de garçons – de ses frères, en l'occurrence – dans un contexte où les hommes, et les aînés aussi, ont l'habitude de dire les règles. Mais pourquoi pas? L'expédition dans laquelle Némiah et ses frères se lancent pour aller voir une personne de la famille fait dès lors figure de rite initiatique. Qu'on ne se leurre pas: au fil des pages, Némiah devra faire face au meilleur comme au pire, ce qui forgera son caractère.
Le contexte paraît intemporel aux yeux du lecteur: la modernité n'y a guère prise. Tout au plus apparaît-elle sous la forme d'une voiture. Cela permet à la description des relations d'aller à l'essentiel: l'auteure dissèque avec finesse des liens familiaux structurants, pour le pire et pour le meilleur. En l'espèce, il y a les frères qui boivent, violent et se tiennent mal, et les soutiens qui ne reculent pas devant l'idée de faire justice eux-mêmes, à la dure, loin de toute administration: on lave son linge sale en famille, ou au village lorsqu'il s'avère que le curé aime un peu trop les enfants.
La mère tient ce clan en place tant bien que mal, se sacrifiant, en l'absence d'un père violent (en témoigne le doigt coupé de la mère: accident ou violence?) et alcoolique dont l'auteure parle peu: une manière de suggérer qu'il n'est plus membre de la communauté, d'autant plus que son destin, effleuré mais surtout tu (et l'auteure excelle à dire la lourdeur de certains silences, par exemple en page 66), se consume à Sion – la ville, mais aussi le lieu infernal où l'on oublie les gens mis à l'écart: les liens du Shéol, en quelque sorte.
Récit de vie, "Némiah" est aussi le roman d'un désenchantement progressif. Peu à peu, Némiah ne croit plus à Dieu, ni à Diable, ni aux farfadets qui piègent les gens sur les monts. Il reste cependant pour elle un lien aux âmes, ainsi qu'un émerveillement face à la montagne, dont l'auteure explore les aspects les plus insondables avec une poésie enchanteresse porteuse de puissance. C'est que la montagne fait partie de la vie de Némiah dès son enfance, et le premier chapitre, brillante scène d'exposition, le dit aussi.
Et on l'a dit: Némiah se veut d'emblée libre et indomptable. Cela passe aussi par la vie des sens et par leurs appétits. Les amours réchauffent les corps comme les cœurs, et la beauté de Némiah, évoquée par un oncle correct et émancipateur mais aussi par des amants – elle apparaît, en bref, dans le regard de l'autre avant tout – est indéniable. Némiah, personnage franc toujours soucieux de chercher sa propre voie, préfère cependant refuser toute demande en mariage, ce qui ne l'empêche pas d'être aussi une femme qui assume d'être désirante.
Dans un monde hors du temps, marqué par les traditions, "Némiah" relate une destinée singulière née d'un monde ancestral et s'avère, à ce titre, la relation magistrale d'un chemin d'émancipation dans un contexte où s'affranchir des coutumes n'a rien d'évident. Nuancée, Némiah sait faire le tri, jeter le pire et garder le meilleur. Dès lors, l'invitation à enseigner le patois du terroir valaisan à sa petite-fille, en fin de roman, apparaît comme un rappel de l'importance de la transmission d'usages intemporels qui touchent à l'intime, et la langue en est un, par excellence, fût-elle un parler local. Cette issue, l'auteure la prépare tout au long du roman en émaillant celui-ci de mots d'arpitan de Savièse: à l'instar de son personnage, elle aussi se fait transmetteuse.
Gwénaëlle Kempter, Némiah, publié en auto-édition, 2024, à commander sur Lulu.
Le site de Gwénaëlle Kempter.
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