mercredi 22 mai 2024

Sauver l'humanité, un enjeu interstellaire

Norman Spinrad – Voilà bien une puissante fable intergalactique! Premier roman de l'écrivain états-unien Norman Spinrad, paru en 1966, "Les Solariens" plonge son lectorat dans les entrailles de quelques vaisseaux spatiaux en suivant le personnage de Jay Palmer, capitaine promu nolens volens à un destin d'exception qui va le transfigurer. Tout commence de manière excitante, par une bataille entre les Doglaaris et une escouade de vaisseaux spatiaux pilotés par des humains, colons de planètes à des années-lumière d'ici. En lever de rideau, l'ambiance conjugue habilement le jeu vidéo et la géométrie la plus rigoureuse.

Et l'ambiance est sérieuse, grave même. L'auteur développe en effet l'idée que l'humanité, après avoir colonisé plusieurs planètes, se trouve en danger d'extinction à petit feu face aux Doglaaris, population d'extraterrestres programmée, à plus d'un titre, pour exterminer, bataille après bataille, cette humanité qu'elle désigne sous le nom de "vermine". 

Evidemment, la question du tempérament colonisateur de l'humain est présente; mais s'il fait face à des obstacles, même forts, ce colonialisme planétaire n'est pas remis en cause. On ne saura guère, du reste, pourquoi l'humain a décidé que la Terre était devenue soudain trop petite pour lui. Au contraire, l'enjeu du roman, existentiel, réside dans la disparition de l'espèce, éliminée systématiquement par des extraterrestres sans âme. Un danger qu'il convient de combattre.

En installant face à face deux puissances fonctionnant sur la base d'injonctions voulues par les ordinateurs et qu'il est périlleux voire impossible de contourner, l'auteur prévoit un destin implacable pour l'humanité, on l'a compris. A moins que... C'est là qu'interviennent les Solariens, venus de la Forteresse Sol, quelque peu mythique du point de vue de Jay Palmer: il s'agit tout simplement de notre bon vieux système solaire, que Palmer, natif d'une planète dont la culture consiste depuis plusieurs siècles à élever de futurs pilotes de vaisseaux spatiaux combattants, n'a jamais connu. Les circonstances vont l'entraîner à la suite d'une escouade de Solariens qui se sont faits fort de vaincre les Doglaaris. 

Dans la mentalité des Solariens, il est permis de voir un calque d'une certaine mentalité américaine, à la fois sympathique et mystérieuse, dominatrice quasiment par atavisme, paternaliste en somme: non contents d'être les maîtres du monde avec le sourire, les six Solariens, formant une équipe soudée autour d'une complémentarité de talents décrite avec précision, ambitionnent de sauver la Terre et ses colonies contre les extraterrestres. Aujourd'hui, alors que le leadership américain est contesté partout dans le monde, cette vision fait sourire. Mais voilà: quoi qu'on pense de ces Solariens ambivalents derrière leur amabilité, ils n'en sont pas moins humains, et là est l'essentiel.

"Les Solariens" explore en effet de manière critique, à travers Jay Palmer et son entourage habituel, une humanité qui a eu le tort de se reposer intégralement sur ces ordinateurs réputés pour ne jamais se tromper, mais capables d'emmener l'humanité vers la catastrophe ultime. L'humanité des Solariens va retourner la situation, avec les armes habituelles que nous avons toutes et tous en nous: un peu de ruse, de la malice, du culot, de la séduction même, voire de la télépathie – bref, du talent, ainsi que des capacités d'innovation et d'adaptation. Ce mix, perfectible et performant à la fois, s'appelle "intelligence"...

Et en fin de roman, tout le monde semble content: les Solariens ont sauvé le monde, et Jay Palmer aura vécu une expérience interstellaire qui l'aura transformé et enrichi. Quant au lecteur, s'il peut regretter aujourd'hui une narration un peu trop dans l'esprit nord-américain (mais non sans outrances, qui peuvent aussi être vues comme ironiques – mais il est vrai que l'on n'a pas vraiment l'impression que TOUTE l'humanité se serre les coudes face à l'adversité), il appréciera avec ces pages, aujourd'hui encore, un récit qui rappelle, à l'heure de l'intelligence artificielle, que l'humain conserve toutes les capacités qui font de lui le maître, pourvu qu'il sache les identifier et s'en servir à bon escient.

Norman Spinrad, Les Solariens, Paris, Denoël, 2000/Folio, 2001. Traduit de l'américain par Michèle Charrier.

Le site des éditions Denoël, celui des éditions Folio.

Défi 2024 sera classique aussi.




6 commentaires:

  1. Je n'ai pas lu de SF depuis un moment... Lien ajouté, merci !

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    1. Bonjour Nathalie, merci pour ton passage par ici! En effet, la science-fiction passe aussi dans les "classiques"! J'avoue que c'est par hasard que j'ai découvert que ce titre était admissible, simplement en regardant les dates de publication dans le livre.
      Bonnes lectures et bonne fin de semaine à toi!

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  2. Bonjour Fattorius
    Voici un billet qui me donne envie de découvrir ce titre et cet auteur que je ne connaissais pas.
    Le "pitch" me fait un peu songer au premier tome du "cycle d'Ender" d'ourson Scott Carr, titré La stratégie Ender, où il est aussi question de la recherche d'une "stratégie disruptive" permettant à l'humanité de récupérer l'initiative face à un danger extraterrestre... mais le cycle s'est poursuivi ensuite (tout n'était pas soit blanc soit noir!).
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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    1. Bonsoir Tadloiducine, merci de votre passage par ici! Pour moi, ce roman a été une découverte captivante généralement, en particulier en raison de son message "flatteur" sur la supériorité de l'humain – même s'il a un côté paternaliste/colonialiste qui peut déplaire aujourd'hui. Oui, c'est à essayer! Quant à l'écrivain, il ne s'est pas limité au seul genre de la science-fiction: son roman "Les miroirs de l'esprit" démonte brillamment les mécanismes rhétoriques à l'oeuvre dans le petit monde des sectes. Bonnes lectures et bon dimanche!

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  3. Oh, ta chronique me donne très envie de le découvrir. Je me le note immédiatement.

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    1. Bonjour Gaëtane, merci pour ton commentaire! Oui, ça vaut le détour, c'est apparemment un classique de la science-fiction. Bonne lecture et bonne semaine à toi!

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