Amin Maalouf – À l'heure où toutes les identités se revendiquent comme telles à grands coups de drapeaux et de manifestations dans l'espace public, il est intéressant de se plonger dans le court essai "Les Identités meurtrières" d'Amin Maalouf. Peut-on tuer au nom d'une identité? La réponse est malheureusement positive aujourd'hui encore... et l'auteur rappelle que la question n'a rien de neuf.
Pédagogue, l'auteur renonce à toute forme de jargon pour évoquer sa thématique. Il préfère partir de sa propre expérience d'écrivain à la fois français et libanais (l'ordre est indifférent) et commence par évoquer à quel point il n'apprécie plus d'être contraint de se décrire comme d'une seule identité, de n'être réduit qu'à une appartenance.
Au contraire, il s'assume riche de la multiplicité de celles-ci, qui le rendent unique alors que, prise individuellement, chaque identité le rapproche d'une partie plus ou moins grande de l'humanité. Humaniste, sa réflexion s'avère dès lors tendue entre l'individuel et l'universel.
Deux exemples, tirés du vécu de l'auteur, marquent cet ouvrage: les identités religieuses, en particulier chrétienne et musulmane, et l'identité linguistique. La perspective est ici volontiers historique: l'auteur décrit l'évolution d'un christianisme qui se libère de la tutelle de Dieu alors que l'Islam, originellement ouvert à un certain libéralisme, s'est peu à peu refermé sur lui-même. Par la faute du christianisme dominant au cours des siècles? L'auteur l'avance.
Côté rapport à la langue, l'auteur préconise que chaque personne en Europe en maîtrise trois, chacune ayant un statut particulier dans son cœur et son esprit. La langue maternelle est un point de départ incontournable, l'anglais apparaîtrait comme la troisième langue, utilitaire, et il y aurait la place pour une deuxième langue, première langue étrangère, qui serait une "langue d'adoption", choisie avec enthousiasme.
Cela, en indiquant que l'histoire a voulu que l'Occident a, à un certain moment de l'histoire, été en mesure de rayonner sur le monde entier et de le dominer. Ce règne arrive-t-il à son terme? Nous sommes à un tournant, mais "Les Identités meurtrières", paru à la fin du vingtième siècle, ne pose pas cette question et, en particulier, admet le caractère indispensable de la langue anglaise dans le bagage de tout humain, même sous une forme sommaire. Ce faisant, bien de son temps, il acte la domination d'un certain libéralisme occidental, alors victorieux du communisme, mais remise aujourd'hui en question.
De même, l'auteur ne remet pas en cause la mondialisation, et c'est aussi pour cela qu'il préconise de s'armer pour celle-ci. Mais dans le monde multipolaire qui vient, où des puissances de civilisation autres que l'Occident émergent et veulent avoir droit au chapitre, le terme de "mondialisation" a-t-il encore le même sens qu'il y a une petite trentaine d'années?
"Les Identités meurtrières" apparaît comme un livre important et bien pensé, soucieux de ne pas abrutir le lecteur avec des mots impossibles. Mais il mériterait quelques compléments et nuances aujourd'hui, à plus d'une génération de distance, en évoquant par exemple les personnes qui se collent elles-mêmes ou imposent aux autres de toutes nouvelles identités, notamment de "genre", comme des étiquettes. Désormais Immortel, portant l'habit vert avec une classe indéniable, l'auteur y pense-t-il? Ce serait une idée.
Amin Maalouf, Les Identités meurtrières, Paris, Le Livre de Poche, 2006/Grasset et Fasquelle, 1998.
Le site des éditions Grasset, celui du Livre de Poche.
Je lisais l'auteur il y a des lustres... ce titre a, apparemment, un peu vieilli mais j'ai bien envie de retourner vers l'auteur.
RépondreSupprimerBonsoir Violette! De cet auteur, c'était mon premier livre, mais désormais, je le garde à l'œil! Cela dit, cet essai mériterait un petit dépoussiérage, à une génération de distance.
SupprimerBonne soirée à toi!