Claudine Houriet – C'est une scène fondatrice, comme on en voit dans les livres de psychanalyse: la vision d'une belle femme rousse à travers une fenêtre va déterminer l'avenir de deux sœurs voyeuses et artistes que la vie va opposer, Nadine et Joëlle. C'est à travers le regard de Joëlle, devenue Ivana, que le lecteur est embarqué dans "Une femme rousse à sa fenêtre" de Claire Houriet.
Joëlle? C'est celle qui aura été la plus émue par la vision de cette voisine rousse, Marie Dubuis, image obsédante. A travers Marie Dubuis, Ivana découvre que c'est pour les femmes que son cœur bat. La romancière dessine dès lors le parcours et le portrait nuancé d'une femme qui semble avoir trouvé sa place dans la société d'aujourd'hui, qui sait déceler d'un regard les affinités électives possibles dans un bar ou un magasin et brille comme photographe de mode, collaboratrice d'un certain Gianmaria Farri, son irascible complice.
"Portrait" en nuances? Force est de constater que les arts visuels prennent une vaste place dans "Une femme rousse à sa fenêtre". Il y a bien sûr les enjeux de la photographie, vue entre autres comme une manière de rapporter de terres lointaines des idées pour la mode destinée aux riches Occidentaux – l'auteure glisse dès lors l'idée d'appropriation culturelle, sans la nommer, au travers du personnage d'une artiste qui, elle, use du crayon et des pinceaux et ne se prend pas la tête avec ça.
À cela s'oppose l'art littéraire, porté par le personnage de Nadine. L'auteure ne juge pas: elle se contente de mettre en scène une femme qui utilise son imagination pour briller, et ne sait faire que ça. Face à Joëlle enfant, cependant, cela permet de mettre en place un rapport d'emprise fondé sur un secret inavouable et peut-être mensonger, qui interroge jusqu'au lecteur: les mots sont-ils innocents comme le croit l'inconsciente Nadine, devenue écrivaine à succès en s'appropriant un vécu qui concerne tout un entourage... comme Ivana s'approprie par la photo des motifs ethniques exotiques qui ne lui appartiennent pas?
"Une femme rousse à sa fenêtre" est le roman des émancipations difficiles. Celle d'Ivana est majeure, et passe justement par un changement de prénom, mais aussi de lieu: c'est à Paris qu'Ivana s'accomplit, dans l'anonymat d'une grande ville où tout semble possible, y compris échapper à l'emprise de la grande sœur. Cela se passe, moyennant un peu d'alcool pour la douceur. Cette émancipation d'une femme devenue mûre fait écho à celle, tout aussi difficile, du propre fils de Nadine, désireux de devenir simplement horticulteur – une vocation de manuel, indigne dans un contexte familial où les activités intellectuelles sont valorisées.
En introduisant ici un personnage masculin, la romancière souligne que la question de l'emprise malsaine et de ses effets pervers touche aussi les hommes. En écho, il y a aussi beaucoup à dire sur le personnage de Gianmaria, couturier de génie empreint de duplicité – une duplicité peut-être nécessaire pour survivre dans le monde de la mode, lui-même empreint de mensonges et d'hypocrisie si l'on suit le propos de l'auteure de "Une femme rousse à sa fenêtre". Celle-ci laisse en effet affleurer les questions sociales liées à une industrie du luxe qui exploite ses petites mains.
D'une lecture aisée, "Une femme rousse à sa fenêtre" apparaît comme un roman d'une profondeur manifeste, porté par une note psychologique dominante. Au travers de la vie d'une femme qui aime les femmes, décrite de manière fine et sensible, l'auteure réussit à mettre à nu quelques-uns des travers de notre société – sans jugement ni pesanteur. Ce qui est la meilleure manière d'inviter à réfléchir.
Claudine Houriet, Une femme rousse à sa fenêtre, Lausanne, Plaisir de lire, 2021.
Le site des éditions Plaisir de lire.
bonjour, merci pour la découverte. intrigant ce roman. bon mercredi à toi et bonnes lectures!
RépondreSupprimerUn roman plein de finesse, à découvrir en effet! Bonnes lectures et bon mercredi à toi!
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