Yoann Iacono – Les violons ont une âme, dit-on. Est-ce pour cela que la cohabitation avec leur violoniste peut s'avérer incroyablement compliquée, comme dans un couple à vagues, où chacun a ses secrets malgré lui? Telle est la question qui traverse "Le Stradivarius de Goebbels", premier roman de l'écrivain français Yoann Iacono.
Il s'agit d'un roman historique, précisons-le d'emblée: l'auteur évoque librement le destin de la violoniste japonaise Nejiko Suwa, qui a reçu de Joseph Goebbels en personne un violon d'exception, attribué au légendaire luthier Stradivarius. Le donateur est aussi empoisonné que le cadeau: qui sait à qui ses équipes l'ont confisqué, se demande bien sûr le lecteur d'aujourd'hui, qui devine trop bien la vérité. Certes, l'auteur mène l'enquête, comme pour confirmer – on ne saura rien de l'instrument qui lui était familier avant.
Mais le cœur du roman est ailleurs: il réside dans la relation intime que Nejiko Suwa, jeune prodige prometteuse, s'efforce de construire avec ce violon, qu'elle a reçu solennellement et qu'elle est moralement contrainte de jouer en tant que musicienne d'orchestre, violon solo de la Philharmonie de Berlin.
L'auteur dessine ici une forme de lutte: le violon a son âme, imprégnée des souffrances de ceux qui l'ont joué avant elle et qui veulent être entendus. De l'autre côté, il y a une violoniste qui, sûre de son talent au point d'avoir quitté Tokyo et sa famille pour se perfectionner à Paris, se retrouve démunie face à un instrument qui lui résiste, semblant même lui imposer ses tempos.
Le souci est-il chez la violoniste? On pourrait penser à une manière de dystonie de fonction, telle qu'exposée par Aude Hauser-Mottier dans "La musique de la douleur". S'il ne va pas jusque-là, l'auteur évoque bien entendu les doutes qui traversent la violoniste, et qui vont la plonger dans des états dépressifs sévères. Mais, on l'a dit, l'instrument d'exception offert par Joseph Goebbels à Nejiko Suwa a sa vie à lui. L'écrivain en fait ainsi un personnage à part entière, creusant son histoire, challengeant son identité, rappelant ses propriétaires et leurs voix – à commencer par le souvenir de Lazare Braun, Juif déporté.
Que dire des ambiances, des décors? À partir d'un fait historique qu'on a pu oublier, l'écrivain dessine avec précision le décor des nazis triomphants puis défaits, le dernier concert offert à Hitler et à sa garde rapprochée au printemps 1945. Il évoque aussi le sort des Japonais, alliés des Allemands et déportés aux Etats-Unis par la puissance gagnante.
Et pour compléter l'histoire, il trace un parallèle entre le génocide perpétré par le régime nazi et les crimes de guerre japonais à l'encontre de la Chine. Tout cela résonne dans l'art musical de Nejiko Suwa, que l'auteur donne à voir comme la marionnette passive, juste musicienne, d'un jeu de guerre et de diplomatie qui la dépasse et à laquelle elle n'était pas préparée.
Pour le côté brillant, et pour flatter encore un peu les mélomanes qui ne manqueront pas de goûter ce roman, l'auteur rappelle encore les personnages de Hans Knappertsbuch et de Wilhelm Furtwängler, chefs d'orchestre immenses dont il donne à voir la mince ligne de crête qui leur permet d'exercer leur génie sans disgrâce, mais aussi sans jouer le jeu infâme des nazis. En contrepoint enfin, il y aura pas mal de jazz, en particulier avec Miles Davis ou Boris Vian à Paris, puisque le narrateur, Félix Sitterlin, est un trompettiste de jazz qui s'est retrouvé, par le hasard des années, sur le chemin de Nejiko Suwa.
Yoann Iacono, Le Stradivarius de Goebbels, Paris, Slatkine & Cie, 2021.
Le site des éditions Slatkine & Cie.
Lu par Le boudoir du livre, TLivres.
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