Fabienne Morales – Après un premier recueil de nouvelles intitulé "La densité de l'instant", l'écrivaine Fabienne Morales revient cet automne avec son premier roman, "Aller voir les arbres". Il y est question d'un atelier d'écriture organisé au vert, et où tout ne se passe pas comme prévu, en raison de la présence d'un fâcheux inscrit en dernière minute.
Fâcheux? Le mot désigne Pierre Bergstein, un bonhomme au caractère pénible qui vient troubler un atelier qui, outre la monitrice, rassemble jusque-là deux apprenties écrivaines, Celia et Doris. On pourrait voir en Bergstein l'homme qui dérange une assemblée de femmes qui eût tranquillement ronronné "entre filles" sans lui.
Mais ce dérangement est à double tranchant: en partant en vrille, l'atelier d'écriture s'avère bien plus fertile aux yeux du lecteur, qui savoure les tensions résultant des relations interpersonnelles entre un nombre réduit de personnages, réunis en un locus amoenus retiré pour se raconter des histoires – tiens, comme dans des romans tels que l'"Heptaméron" de Marguerite de Navarre, toutes proportions gardées.
Proportions, en effet: "Aller voir les arbres" a l'envergure d'une novella, et son écriture est à l'avenant: le lecteur est saisi par l'efficacité de phrases simples, à l'os, où rien n'est de trop. Un héritage de la nouvelle? En tout cas, les chapitres eux-mêmes sont courts, ce qui donne un supplément de rythme.
Si Pierre Bergstein est utile au récit, aussi, c'est qu'il ouvre la porte à une incitation à mêler la fiction jusqu'à perdre le lecteur. Il y a par exemple la mystérieuse allusion à Perros: est-ce Georges Perros ou Perros-Guirec? Face à Pierre Bergstein, qui a subitement décidé de dormir, Claire, Doris et Celia lui inventent une histoire d'amour déçue. Et l'auteure l'agence comme si elle était vraie. Et il suffit d'un peu de bon vin bu doucement pour faire carburer tout cela: si inventée qu'elle soit, l'histoire devient dramatique et accrocheuse.
En coulisses, il convient par ailleurs de relever l'omniprésence de l'oulipien Georges Perec, qui suggère des thèmes de travail à Claire, la monitrice improvisée. Le lecteur aura donc droit au classique "Je me souviens"; il se régalera aussi autour des variations autour de "Un homme qui dort", qui s'incarne avec l'omniprésent dormeur Pierre Bergstein dans "Aller voir les arbres". Enfin, imaginer des fictions dans un atelier, c'est aussi de la littérature potentielle: le premier roman de Fabienne Morales serait-il lui aussi oulipien?
Enfin, il y a cette résonance que l'auteure fait régulièrement revenir entre la littérature et la randonnée, avec ces allers et retours pas forcément agréables, que ce soit pour l'écrivain qui doit effacer ou pour le randonneur qui doit revenir sur ses pas. L'écriture est certes une course de fond, surtout lorsqu'on se lance dans le genre long. En remplaçant au pied levé l'animatrice habituelle, elle fait un pas vers une expérience qui va la sortir de sa zone de confort et la transformer. Pour de bon, il lui faudra "entrer en roman". Et tel son personnage, c'est ce que fait précisément Fabienne Morales avec "Aller voir les arbres".
Fabienne Morales, Aller voir les arbres, Lausanne, Plaisir de lire, 2020.
Le site des éditions Plaisir de lire.
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