Stéphane Giocanti – Les phrases sont longues volontiers, les paragraphes sont denses et étendus. Cela, pour dessiner minutieusement un Japon déchiré entre la modernité imposée par les Etats-Unis à la fin de la Seconde Guerre mondiale et une culture ancestrale typiquement japonaise. Ces tensions, l'écrivain français Stéphane Giocanti les donne à voir avec "Kamikaze d'été", en plaçant en résonance les tensions de la grande histoire, terrible, et ses répercussions sur la vie de famille. Sans oublier la vie des lettres au Japon.
L'ouvrage s'ouvre sur une première partie captivante, relatant, et c'est rare, la destinée et les dernières heures de vie d'un kamikaze. Il y a bien sûr les rituels, le dernier verre de saké consommé de façon rituelle auprès de civils reconnaissants, la difficulté à dire non, les rapports particuliers entre les hommes chargés d'une mission de kamikaze dont on ne revient pas. Surtout, l'auteur personnalise ces derniers instants d'existence au travers du personnage de Manasori, dont il explore dès lors les états d'âme et les motivations. Particularité: Manasori est marié à Asuka, et père qui plus est, mais il ne le saura jamais. De même qu'Asuka ignorera longtemps qu'elle est veuve, la faute au courrier.
Cette paternité permet une relance du roman au-delà d'un premier chapitre qui aurait pu se suffire à lui-même tant il est dense. C'est une surprise pour le lecteur, en effet, de voir émerger Naoki. Naoki apparaît comme un personnage constamment en porte à faux avec son époque, dans un pays, le Japon, présenté comme lui-même déchiré. Qu'on en juge: fils d'une veuve de guerre, homosexuel, il a de quoi susciter le rejet dans un contexte culturel resté foncièrement conservateur. Quant à sa recherche des origines, soudain frénétique, elle va se heurter aux difficultés d'une histoire difficilement assumée.
Cela dit, l'auteur multiplie les convergences entre le père absent et le fils présent: l'un et l'autre sont des lettreux, intéressés à la littérature de leur pays comme à celle du monde. Le père et le fils semblent avoir chacun leur combat: le père, celui pour une certaine idée du Japon vouée à l'extinction alors que la victoire du Japon s'avère de plus en plus une chimère, et le fils, celui d'en savoir plus sur son propre passé. Quitte à faire passer ses études au second plan et à susciter, dans un premier temps qui est celui du déni, le rejet de sa mère. L'homosexualité de son fils pourrait dès lors apparaître comme un prétexte pour refouler dans son inconscient un passé dont elle peine à faire le deuil. La réconciliation entre mère et fils passera d'ailleurs par son acceptation, que l'auteur souligne en de dernières lignes musicales et poétiques.
Il y a certes un léger flou dans la temporalité lorsqu'il s'agit de la vie de Naoki. Celui-ci est définitivement éteint lorsque l'auteur replonge dans la réalité de l'histoire pour mettre en avant la figure de l'écrivain Yukio Mishima. Un écrivain peut-être ambigu, tendu entre modernité à l'américaine et tradition, voire nationalisme, typiquement japonais. L'écrivain retrace le suicide par seppuku de Mishima et le place dans son contexte: un geste argumenté, pensé comme marquant et grandiose, mais qui paraît déjà anachronique – nous sommes en 1970, et il n'y a plus eu de seppuku au Japon depuis 1945. Cette apparence décalée d'anachronisme suggère que le Japon est déjà passé à autre chose, que l'empereur n'est plus un dieu pour lequel il vaut la peine de se suicider à bord d'un chasseur Zéro.
"Kamikaze d'été" est un roman dense, décliné en longs chapitres qui ont parfois la lenteur, mais aussi la finesse d'un certain théâtre japonais – l'auteur évoque d'ailleurs le kabuki, confronté au cinéma comme une autre manière d'illustrer une tension culturelle. Le lecteur apprécie les quelques personnages qui hantent les quelque 200 pages de ce livre, tourmentés par une histoire qui les dépasse et dont ils ont été les acteurs malgré eux.
Stéphane Giocanti, Kamikaze d'été, Paris, Editions du Rocher, 2008.
Le site de Stéphane Giocanti, celui des éditions du Rocher.
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