Antoine Jaccoud – Et si la science-fiction s'invitait sur les scènes de théâtre? Telle est l'importante particularité de "Au revoir", monologue scénique écrit par l'artiste Antoine Jaccoud. Tout commence sur des scènes de départ fracassantes, des adieux intenses, et l'on se demande un peu, tout au début, ce qui se passe.
Mais laissons l'auteur s'exprimer, et le narrateur aussi – ce père si attachant...
L'espoir et la naïveté
Voilà l'histoire: un père de famille voit ses enfants partir vers la planète Mars. On pense évidemment aux questions de colonisation vers un autre monde (à l'instar des colonisations anciennes de l'homme européen: Californie, Congo, etc. – p. 13), mais aussi à la possible idée d'une déportation. L'auteur choisit ses mots: il parle de colonie, de base, de vaisseau.
Et pour souligner la nouveauté du concept, le narrateur s'interroge: la planète Mars est-elle de genre grammatical masculin ou féminin? On ne sait pas encore dire... Pareil pour dire où est Mars: l'expression pourtant courante "là-bas en haut" révèle dans "Au revoir" son caractère bêtement contradictoire – est-on en bas ou en haut?
«Au revoir» est dès lors un titre empreint d'espoir: l'espoir de se revoir, malgré la distance. Le père s'exprime, non sans une aimante naïveté: il imagine qu'on pourra se téléphoner, que les fêtes de famille seront presque comme avant parce que le téléphone efface les distances. Il considère aussi que ses fils vivront comme il les a faits, l'un veillant sur l'autre, faisant bon marché de l'idée que sur une nouvelle planète, ils devront forcément s'inventer une nouvelle vie qui, peut-être, les séparera. Mais quoi: quand on est père, on veut le meilleur pour ses enfants.
Le ton de ce narrateur paternel sonne juste: la naïveté s'exprime par le biais d'un ton familier, un ton de toujours qui place le père dans un monde passé. Il n'empêche que ses mots sont lucides aussi: ils évoquent la pollution de la Terre, portée à son paroxysme, installant dans le texte l'idée d'un vaste gâchis de la planète Terre, en vogue dans les romans d'anticipation actuels. Et puis, comme on est au théâtre, le lecteur relève que les phrases sont mises en page dans le souci de recréer un rythme de lecture, une scansion que des rimes viennent souligner çà et là, comme par hasard.
Nègre ou blanc, un contraste
Dans le livre publié par BSN Press, le monologue "Au revoir" est complété par un autre texte destiné à la scène, "Le Nègre gelé du Diemtigtal", non moins actuel puisqu'il est inspiré d'un fait divers: l'auteur se met dans la peau d'un migrant noir perdu dans la neige des Alpes bernoises, et qu'on a retrouvé mort en février 2009. Introspectif, le discours imaginé du Noir, migrant venu d'Afrique, n'évite pas une certaine victimisation, porté par l'idée qu'on ne lui a jamais dit bonjour.
Cette parole est cependant contrebalancée par celle de l'habitant de Diemtig, sûr de n'avoir rien fait de faux. Ainsi s'opposent deux légitimités, construites sur des idées en partie fausses de part et d'autre (on relève en particulier les préjugés du personnage bien suissaud; mais le migrant en est-il exempt?), sur un ton qu'on imagine obsédant lorsqu'il est dit sur scène.
A noter que tout le monde ici dit "Nègre" dans ce texte, un mot choc présent dès le titre; mais qu'est-ce que le Bernois met sous cette étiquette? Et le migrant? Le choc des représentations se cristallise autour de ce mot, manié par l'écrivain dans le souci d'interroger tout ce qu'il véhicule.
Antoine Jaccoud, Au revoir, Lausanne, BSN Press, 2019.
Le site des éditions BSN Press.
Lu par Francis Richard.
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