mardi 25 septembre 2018

Rentrée littéraire ou rentrée scolaire: "Adieu, Monsieur le Professeur..."

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Tiffany Jaquet – "Dernière rentrée": voilà bien le livre qu'il faut lire en cette période de rentrée scolaire et littéraire. Le deuxième roman de l'écrivaine suisse Tiffany Jaquet est un ouvrage polyphonique solidement structuré et profondément humain qui plonge dans les classes difficiles de l'enseignement secondaire, quelque part en Suisse sans doute. Au cœur du récit, il y a le professeur André Clottu, qui joue un rôle de pivot.


Un premier chapitre pour planter le décor? Après l'épilogue, la romancière n'y coupe pas. Cela lui permet de montrer le contraste entre une école réputée aisée, le collège secondaire Benjamin-Constant, et une école considérée comme défavorisée, le collège (se)con(daire) de Pré-Fleuri (parce que même l'enseigne de l'établissement scolaire, déglinguée, est dépourvue de fierté – c'est bien observé!). Pour un lecteur suisse, c'est presque une surprise: alors qu'il considère que toutes les écoles de son pays, ou au moins de son canton, diffusent un savoir de qualité analogue (merci Harmos!), le voilà placé face à des différences de niveau dont on ne parle jamais. Et l'auteure force le trait...

C'est que la classe "DER1" (pas besoin d'explication, cette classe, c'est la der des ders! Mais l'auteure s'amuse à faire quelques jeux de mots grinçants pour donner un sens à ce sigle) recèle, d'une manière extrême, une petite dizaine de personnages en situation d'échec scolaire sévère. Ce sont eux qui vont donner, chacun à leur tour, son épaisseur à ce roman. L'auteure leur confère en effet une véritable personnalité, associée aux passions et aux contraintes de ces jeunes gens et jeunes filles, et dessine, au fil des personnages, un éventail des causes de l'échec scolaire: contraintes familiales, dépendances, passions qui distraient (Bob Marley, par exemple), petite délinquance, profil de migrant de fraîche date, mal-être indissociable de l'adolescence. Un sacré concentré!

Mais "DER1", c'est aussi une clé pour savoir pourquoi, au début du roman, un coup de pistolet a été tiré. Pour qui cette classe est-elle "la der"? Pour les élèves, appelés à plonger dans le monde du travail, ou pour l'enseignant, qui s'apprête à prendre sa retraite? Le lecteur comprend assez vite qu'André Clottu traîne son propre secret, lourd et violent. Classe difficile, passé inavouable: l'un des enjeux du roman, et c'est tendu, consiste à se demander si André Clottu finira l'année face à sa classe, alors que tant d'autres enseignants ont fini par rendre les armes après quelques mois.

Par une narration polyphonique qui donne la parole à chacun des élèves, l'écrivaine fait émerger des individualités de façon réussie: même les élèves les plus détestables, ceux qui fomentent des mauvais coups dans la classe et empoissonnent l'ambiance, ont quelque chose de profond à dire. Mais si l'auteure révèle toutes ces individualités, elle excelle aussi à donner vie aux dynamiques qui traversent une classe. Le lecteur sera donc en prise avec les élèves qui manigancent entre eux et testent l'enseignant, avec ceux qui se rapprochent de façon surprenante, avec ceux qui sont toujours absents parce qu'il y a toujours quelque chose de plus important que l'école – la famille, par exemple, ce beau piège.

L'épilogue se présente comme un hommage modeste et solennel à l'enseignant André Clottu, qui n'aura guère profité de sa retraite. Globalement, on y croit, même si l'on ne comprend pas forcément pourquoi les élèves ont les mots de respect qu'ils prononcent finalement: alors que tous se déclarent touchés, certains paraissent n'avoir rien eu à faire, ou presque, du bonhomme en cours d'année scolaire. Mais soit: au terme des mois de l'année qui sont autant de chapitres et d'élèves, ces derniers offrent au lecteur un ultime regard sensible sur leur enseignant. L'issue est attendue, du coup: celui-ci les a changés, qu'ils se l'avouent ou non, et la romancière dessine cela avec attention. Et du coup, l'on a envie, pour saluer André Clottu qui n'est pas un ange mais a quand même cherché à inculquer quelques principes durant toute sa vie, d'entonner avec Hugues Aufray: "Adieu, Monsieur le Professeur, on ne vous oubliera jamais...".

Tiffany Jaquet, Dernière rentrée, Lausanne, Plaisir de lire, 2018.

Le site de Tiffany Jaquet, celui des éditions Plaisir de lire.

2 commentaires:

  1. J'ai aussi apprécié cette galerie de personnages, qui parviennent à tous nous toucher à leur manière! Et la tension concernant le fameux coup de feu est bien maintenue jusqu'au dernier moment.

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    1. Tension, en effet! L'issue est inattendue, et c'est bien joué de la part de l'auteure. De même que l'idée de donner la parole à chacun des personnages, qui les rend tous attachants mine de rien.

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