mercredi 25 avril 2018

"La gauche en France", une histoire en articles

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Michel Winock – Alors que François Hollande vient de publier un livre en forme de bilan sur son mandat présidentiel, il s'avère utile et instructif de se replonger dans ce qu'il y avait bien avant lui, du côté non monarchiste, à gauche donc de l'échiquier politique français. L'historien Michel Winock y invite les lecteurs intéressés dans un ouvrage à la fois riche, accessible et finalement captivant, justement intitulé "La gauche en France".


Les chapitres du livre sont le reflet du choix de l'auteur de regrouper des articles, publiés pour la plupart dans la revue "L'Histoire". Le lecteur peut donc lire chaque chapitre indépendamment des autres. Reste que leur organisation ne doit rien au hasard: elle tend à suivre la chronologie, en partant des temps les plus anciens, pour arriver à notre vingt et unième siècle – précisément au temps où l'on pressentait que Ségolène Royal serait la candidate du Parti socialiste pour l'élection présidentielle française de 2007.

Tout commence, pour l'auteur, par l'acceptation ou le refus du droit de veto au roi de France Louis XVI: les républicains s'y opposent et, placés à gauche lors du vote, constituent le point de départ de la gauche en France – opposés à ce qui peine à se concevoir comme la droite. A partir de ce point de départ, et en préambule, l'auteur distingue quatre familles de gauche en France, soit trois plus une: la gauche républicaine, celle qui va donner le jour aux radicaux; la gauche socialiste (celle de la SFIO); la gauche communiste, celle qui a accepté les conditions fixées par Lénine lors de la Troisième Internationale et demeure en phase avec Moscou. La quatrième famille est, pour l'auteur, celle de l'ultra-gauche, présentée comme critique, héritière de Gracchus Babeuf. Leur histoire et leur fortune sont retracées, jusqu'à aujourd'hui.

Sur cette base, l'auteur multiplie les points de vue au fil des chapitres. Cela va du portrait (François Mitterrand, Victor Hugo, Guy Mollet – l'occasion de revenir sur quelques préjugés) à l'exposition d'enjeux ou de spécificités de la gauche française, telles que sa méfiance envers la social-démocratie à l'allemande. Au fil des pages, on peut être dès lors surpris de certaines questions qui, si elles ne font plus débat aujourd'hui, étaient discutées en leur temps: par exemple, une certaine gauche refusait le suffrage universel par crainte du vote paysan, ou le vote des femmes, jugées trop enclines à écouter le clergé: "élection, piège à cons!", comme on a pu le dire plus tard. L'impossible articulation avec le catholicisme, malgré certaines passerelles idéologiques, est explicitée aussi, comme prélude à l'anticléricalisme. L'opportunité de prendre le pouvoir, qui fait débat depuis toujours à gauche, est aussi analysée dans ses différents enjeux et aspects. Enfin, l'auteur identifie aussi avec précision les causes de certains aveuglements parfois entêtés, par exemple par rapport à Staline ("Les Français pleurent Staline", mais aussi "Le grand aveuglement").

Certains épisodes où la gauche s'est profilée et a développé la culture républicaine du pays, sont étudiés aussi, de façon nuancée: on en apprend ainsi pas mal sur le positionnement de la gauche face à l'affaire Dreyfus, tentée par la position antidreyfusarde entre autres parce qu'il ne faut pas protéger le bourgeois. Mai 68 n'est pas oublié, l'auteur articulant la révolte estudiantine et celle qui a pris ensuite dans les milieux ouvriers, considérant cette révolte comme la fin d'une époque et replaçant l'événement, singulier dans sa forme, dans le contexte international: un peu partout dans le monde, certains héritages sont remis en question.

Compilation structurée d'articles richement documentés et sourcés, "La gauche en France" recèle quelques redites, d'un chapitre à l'autre: c'est le risque du genre. Paru en 2006, il n'aborde pas les douze dernières années de la vie politique française côté gauche, bien sûr, même s'il esquisse quelques tendances, notamment un rapprochement du socialisme français vers la social-démocratie, plus ou moins assumé par les hommes politiques en pointe au début du siècle (Dominique Strauss-Kahn, par exemple). Il mériterait donc d'être réédité et augmenté! Cela, d'autant plus qu'il s'agit d'un ouvrage écrit de façon neutre et factuelle, montrant de manière étayée les limites et les forces d'une certaine idée de la République française.

Michel Winock, La gauche en France, Paris, Perrin/Tempus, 2006.


Le site des éditions Perrin.


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