Loïc Madec – La langue française est l'objet de toutes les passions, et celles-ci s'expriment de temps à autres en des polémiques plus ou moins intéressantes. C'est dans ce flux de débats que s'inscrit le livre de Loïc Madec, "Les Français malades de leurs mots". A la suite de Thierry Raboud, journaliste auprès de l'excellent journal suisse "La Liberté", il convient de relever que cet ouvrage, écrit par un Français, a paru en Suisse: ses propos auraient-ils été inaudibles dans le pays de son auteur? En tout cas, si le verbe est haut, et nourri de quelques bonnes trouvailles, force est de constater que "Les Français malades de leurs mots" ne tient pas toutes ses promesses.
Ceux qui aiment les proses bien saignantes, pamphlétaires, où la critique vigoureuse est la règle, seront certes servis. L'auteur identifie avec précision les tics de langage d'aujourd'hui, tels que les "c'est mon ressenti", les "chacun ses goûts", les "faut pas généraliser", les "c'est compliqué" qu'il considère comme une manière, de la part du locuteur, de ne pas assumer ses propos ou de refuser de se confronter à leur complexité. Le lecteur sourira immanquablement à certaines trouvailles de style et aux bons mots bien trouvés, tels le tandem "Lady Merx" et "Fun", que l'auteur voit comme les moteurs de la société actuelle: la marchandise (en latin "Merx) et le plaisir ("Fun" en latin d'aujourd'hui, c'est-à-dire en anglais). La plume est alerte, et le lecteur pourra trouver cela jouissif.
Cela dit, l'auteur ne va guère plus loin que le constat, finalement personnel, d'une déliquescence de la manière de parler français. On pourrait dire de façon un brin cruelle que ce débat est de chaque génération, l'ancienne reprochant à la nouvelle de ne pas savoir parler le "biau parler françois"... Plus dommage, l'auteur ne suggère guère de façons de faire mieux, et se contente de citer, souvent sans analyse autre que sommaire, des paroles glanées à la radio ou dans la presse – semblant oublier qu'il n'est pas donné à tout le monde de parler avec aisance à la radio, en pleine conscience des milliers d'auditeurs attentifs: chacun ne sait pas donner, au débotté, un discours articulé à la façon d'un Marc Bonnant, avocat suisse connu pour la pureté formelle de son français.
L'analyse fait même trop souvent la place à des astuces de connivence, l'auteur utilisant certains gros mots comme "constructivisme" sans expliciter suffisamment ce qu'ils recouvrent – même s'ils sont, Dieu le sait, éminemment critiquables. En particulier, l'auteur récupère à son compte certains concepts d'un Philippe Muray, comme "Homo Festivus", sans dire au lecteur de quoi il retourne vraiment. Par de tels raccourcis, l'auteur se dispense d'analyser, et c'est bien dommage.
Et c'est là qu'on arrive à un aspect particulièrement exécrable de "Les Français malades de leurs mots": le mépris du locuteur francophone. Qu'on connaisse la définition de l'Homo Festivus, soit: chez Muray, c'est l'homme qui arrive à un stade de son développement où il ne pense qu'à faire la fête. Gageons que cela pourra déplaire à certains lecteurs qui ne se reconnaissent pas dans cette définition. Mais lorsque l'essayiste arrive avec des termes comme "Neuneu", avec majuscule, pour décrire les francophones, il y a un problème. Cela, d'autant plus qu'en donnant ses leçons, l'auteur considère qu'il n'est ni des "Neuneus", ni des "Homines Festivi" insouciants. Cela, sans parler de l'utilisation du terme "Narcisse": tous les francophones d'aujourd'hui passent-ils vraiment leur temps à se regarder dans un miroir? Et si, en écrivant et en faisant paraître un livre, l'auteur des "Français malades de leurs mots" était le suprême Narcisse? En non-réponse à cette question, et pour reprendre deux expressions courantes et bien pratiques pour le coup: "Je pose ça là..." et "Moi, j'dis ça, j'dis rien...".
A cela, il convient d'ajouter une série de chapitres sortant du sujet (des développements sur des sujets à la mode, à partir de la page 80): on y trouve une critique du politiquement correct ambiant, éventuellement venu d'Amérique. Cela, sans oublier quelques critiques pratiquement gratuites, à l'encontre de Pierre Desproges ou du Bébête Show. Ni, d'ailleurs, des attaques en règle contre les sciences humaines et sociales, qui n'ont pas forcément leur place dans un livre consacré aux mots du français, si malades qu'ils soient. Le lecteur ressort de cette lecture avec l'impression mitigée de s'être confronté à un auteur qui a le sens de la formule qui claque, mais se trouve démuni dès qu'il s'agit d'aborder les choses dans ce qu'elles ont de profond et d'ordonner ses pensées.
Indubitablement convaincu à défaut d'être franchement convaincant, l'auteur puise volontiers ses références dans une littérature sérieuse, mais qui penche du côté de "Causeur", sans exclusive: on y trouve certes l'excellent Jean-Paul Brighelli ou le touche-à-tout Christophe Bourseiller; on y croise même la journaliste suisse Martina Chyba. Mais on y rencontre aussi le controversé Alain Soral. Ce n'est pas un problème en soi, mais "Les Français malades de leurs mots" semble à maintes reprises une caricature de ces penseurs. Du coup, s'il faut analyser les mots des francophones d'aujourd'hui, mieux vaut s'intéresser, par exemple, aux les écrits exacts d'une auteure trop brièvement citée par l'auteur de "Les Français malades de leurs mots", et dont j'ai lu les articles avec grand intérêt: Ingrid Riocreux.
Loïc Madec, Les Français malades de leurs mots, Lausanne, Favre, 2018.
Le site des éditions Favre.
Lu par Pascal Ordonneau.
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