mardi 11 avril 2017

Olga Lossky, reflets croisés dans un tableau

Clou
Lu par Christian Roy.


Semaine sainte dans la Russie des tsars, et la même période sous le régime communiste. Reflets d'un certain temps, d'une vie? Dans son premier roman, l'écrivaine Olga Lossky installe le huis clos étouffant d'un appartement communautaire au milieu du vingtième siècle, en URSS. Ainsi, "Requiem pour un clou" est bien une histoire de clous... mais pas seulement.

Il y a en effet du génie dans le premier chapitre, qui tourne autour de ce clou que Fiodor Vassilievitch a en main, qu'il utilise pour fixer un tableau au mur alors qu'il aurait plu compléter un ensemble de trois douzaines, intéressant à revendre. C'est pourtant bien un clou qui permet l'ouverture sur un autre monde, en miroir: dès le deuxième chapitre, le tableau fait figure de lieu d'évasion.

L'univers confiné de l'appartement communautaire est propice à l'observation des objets en général, et l'auteure revient régulièrement, de façon obsédante, sur certains d'entre eux. Outre les clous et le tableau, il y aura ainsi les cintres tordus, que Fiodor Vassilievitch, obsédé, un peu amnésique, entend aussi revendre après réparation. Il y a aussi la nourriture, pas toujours idéale (la kacha trop claire), le bois qui manque pour se chauffer en période de débâcle.

Le rituel des objets fait écho à celui des personnages, qui reviennent comme une ritournelle hanter l'appartement. Ce sont des caractères, vus par Fiodor Vassilievitch, vieillard oisif, qui joue le rôle de narrateur. Il y a aussi quelque chose d'obsédant dans leur récurrence, souvent associée à des formes d'épithètes homériques, à l'instar d'Anatole, toujours comparé un drôle d'oiseau sans cesse changeant, ou d'Anna, toujours associée à un mot aimable. On goûtera aussi l'ironie du surnom de Kousok, "le morceau", personnage sourd donc vu comme incomplet. A l'instar du narrateur, boiteux, observateur des querelles du logis... et de ce fameux tableau, peint par son père.

C'est une respiration qu'offre cette fenêtre picturale, comme ouverte dans le mur de la chambre de Fiodor. Elle donne à voir un univers ancien, révolu, celui du temps où il était permis de pratiquer la religion orthodoxe. On découvre aussi tout un univers de personnages, et petit à petit l'on comprend qui est le jeune Fedka du tableau... Il suffit d'une descente de police dans l'appartement communautaire.

Travaillé, porté par des phrases nerveuses, "Requiem pour un clou" est un remarquable roman, habilement construit en allers et retours entre le présent et le passé, où l'écrivaine se distingue par un regard acéré sur les humains, sur leurs bassesses comme sur leurs beautés. 

Olga Lossky, Requiem pour un clou, Paris, Gallimard, 2004.

2 commentaires:

  1. Un peu "nouveau roman", je me trompe ?

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  2. Non, c'est assez classique, avec des personnages bien caractérisés, même si l'intrigue est assez mince.

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