Lu par Francis Richard.
"Les Parricides" est la dernière publication de Sabine Dormond - c'est l'un des quatre microromans que les éditions BSN Press font paraître ces jours-ci, à la veille du Salon du Livre de Genève. L'auteure y décrit une situation familiale difficile au coeur de laquelle grandit Vincent, un garçon doué pour les chiffres et le jeu d'échecs. Enfin... vraiment doué. Quant au lecteur, il s'attache à ces personnages; l'écriture est par ailleurs travaillée, en particulier les dialogues, dont on apprécie la spontanéité.
L'épaisseur d'un personnage maternel
C'est au travers de la mère de Vincent, Emilie, que tout est observé, une mère qui connaît quelques secrets avec lesquels il lui faut bien vivre: son père a un penchant prononcé pour la bouteille, sa mère est partie pour un monde meilleur. Quid du père de Vincent? Diego, c'est le coup d'un soir, celui qui a rendu femme la mère de Vincent. Au-delà des espérances, et bien avant l'âge...
Un tel parcours permet à l'auteure d'aborder un certain nombre d'aspects liés à la condition féminine d'aujourd'hui, aujourd'hui encore difficiles. En particulier un certain regard, peu amène pour le coup, sur les mères adolescentes, dont la romancière identifie précisément certains ressorts - le choix des mots, des phrases qui font mal et sont comme des banderilles plantées, sont aussi pour beaucoup dans l'impression d'hostilité perçue.
Enfin, l'écrivaine donne de l'épaisseur à son personnage de mère en l'obligeant à lutter contre ses propres démons (sa mère absente, qui paraît la hanter) en plus de l'adversité au quotidien. Un psy, des médicaments... comment en venir à bout?
Une poésie des échecs
Et Vincent, donc. Vin et sang. Mais aussi vingt cents, c'est-à-dire deux mille: l'auteur n'oublie pas de sourire, même dans les situations dramatique, ni d'aller voir les mots derrière les mots. Et quand on s'appelle vingt cents, on se doit d'être doué pour les maths. Plus, peut-être, que pour les relations humaines: le personnage de Vincent le surdoué fait penser, de loin, au "Bad" de Daniel Fazan.
De la poésie des nombres et des calculs compliqués, on passe à celle des échecs, auxquels le grand-père de Vincent l'a initié. Les parties d'échecs sont décrites de manière crédible, et la technique a sa place dans le texte; mais au-delà, l'auteure développe une poésie du jeu, donnant aux 64 cases d'un échiquier le statut de métaphore du monde: une limite étroite, mais où se jouent tant de choses.
Cela, jusqu'à la mise à mort du roi, père des pièces qui évoluent sur l'échiquier - l'auteure rappelle à plus d'une reprise que le perdant couche son roi au moment où il est mat, indique aussi qu'en de telles conditions, le jeu d'échecs n'a jamais de vrai gagnant. En passant, l'auteure cite aussi les jeux de gladiateurs et la corrida. Où la mise à mort est réelle...
Enfin, le jeu d'échecs est l'occasion pour Vincent de tuer symboliquement le père, et de devenir ainsi un homme à son tour. Il ne le sait pas, certes, que son père, l'absent et irresponsable Diego, est vraiment face à lui à ce moment: de même, sait-on vraiment, en tant qu'homme, si l'on a effectivement "tué le père", pour reprendre ce terme de psychologie? En écho, Emilie vivra aussi la libération de ses propres fantômes. Et pour le lecteur, ce petit roman riche et tourmenté s'achève ainsi sur la promesse d'un apaisement.
Sabine Dormond, Les Parricides, Lausanne, BSN Press, 2017.
Mordue des échecs dans une autre vie, je me laisserai bien tentée par ce roman... Tentant.
RépondreSupprimerAh oui, ça vaut le coup. Note que c'est un livre très court, rapide et percutant.
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