Dunia Miralles – Succès littéraire, critique et aussi commercial, paru pour la première fois aux éditions Baleine en 2000 et régulièrement réédité depuis, "Swiss Trash" installe d'emblée l'écrivaine Dunia Miralles comme une voix qui compte dans les lettres romandes. Autant dire que rendre ce texte à nouveau accessible au lectorat, vingt-cinq ans après, est une excellente initiative des éditions BSN Press.
L'écrivaine va ainsi explorer ce qu'il y a derrière la Suisse de carte postale, celle du bien joli Palais fédéral ou du rafraîchissant Jet d'eau de Genève. Dans ces deux lieux emblématique, ce n'est pas le monument qu'elle observe, mais ce qui se passe à ses pieds. Il en résulte par exemple la scène choquante, et pourtant réelle, montrant des junkies se donnant rendez-vous au pied du Parlement fédéral – prostitution pour rien incluse. Et concernant le Jet d'eau, l'un des personnages, Constance, aura cette phrase amère: "Que Genève est belle pour les privilégiés!"
Les personnages de ce roman, en effet, ne font pas partie des gagnants de la Suisse prospère des années 1990, résiliente malgré la crise du bâtiment. Tout tourne en effet autour de quatre jeunes filles vingtenaires accidentées de la vie, tombées dans la spirale de la drogue à une époque où cette thématique restait encore largement un tabou. Tout commence par un accident stupide, causé par un pari stupide lancé par un mec stupide et bourré: en se tuant au volant de sa voiture avec deux jeunes femmes, Michel devient, sous la plume de l'auteure, un James Dean du pauvre, le romantisme en moins. Pour l'entourage, reste le traumatisme.
Dès lors, c'est avec ses pleins et ses déliés que l'écrivaine illustre la destinée de Gloria, Cathy, Marie, puis de Constance. Et de quelques garçons aussi. Souvent la drogue les abîme, et l'auteure excelle à recréer des scènes où, présente ou absente, c'est elle qui commande: la marchandise est un impératif qui pousse à n'importe quelle humiliation (lécher les pieds sales de son dealer, par exemple, scène mémorable), l'argent un besoin constant et un moyen de pression.
Cette pression inclut, dans "Swiss Trash", une domination masculine dont les personnages féminins du roman devront se libérer. Personnage quasi irréel, Constance, mi-femme mi-homme, "andro-femme" pour reprendre le mot de la romancière, personnage d'autorité capable de dresser un chien de combat en mal de maître, y mettra bon ordre: est-elle en quelque sorte la mère ou le père Noël des droguées en perdition? Cette libération spécifique, la romancière la symbolise en fin de roman par une émasculation, celle d'un des derniers personnages masculins encore vivants (les autres sont morts, y compris ceux porteurs d'un bout d'espoir ou d'amour) – et qu'on peut aussi voir comme une victime de quelque chose qui le dépasse: le conflit yougoslave.
Et de quoi naît la force presque addictive de "Swiss Trash"? Il serait facile de dire que cela permet au bon Suissaud de classe moyenne, lecteur ou lectrice installé dans la vie, de se rassurer: il a échappé à tout ça. Mais c'est un peu court: vectrice de la lancinante triplette "sex, drugs, rock'n'roll", l'écriture travaillée, directe et sans esthétisation propice à la mise à distance confortable, de ce premier roman oblige le lecteur à se mettre à un moment ou à un autre à la place des personnages ou des situations mis en scène: ces scènes, ces personnages, on les a vus en vrai, ou alors à la télévision. Qu'on le veuille ou non, et loin des cartes postales destinées aux touristes, "Swiss Trash" dérange et interpelle donc en parlant d'une Suisse qu'on n'aime pas forcément voir en face mais qui n'en est pas moins vraie. Et, sur une thématique sociale complexe, fait ainsi œuvre de poésie au sens le plus fort.
Dunia Miralles, Swiss Trash, Chêne-Bourg, BSN Press, 2025. Première édition Paris, Baleine, 2000.
Le site de Dunia Miralles, celui des éditions BSN Press.
Lu par Francis Richard, Mithrowen, Neema Vitali, NoID.

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