samedi 27 décembre 2025

Los Angeles, cité des anges... et des démons

MISCHITELLI
Maria P. Mischitelli – Los Angeles est-elle vraiment la cité des anges? Il est permis d'en douter si l'on se plonge dans la lecture de "Les anges n'habitent pas tous au paradis" de Maria P. Mischitelli. Ce titre de roman tout en questionnements nuancés laisse toutefois augurer d'un polar riche, avec ses diables... et ses anges pour leur répondre. Quelle promesse pour un roman policer!

"Les anges n'habitent pas tous au paradis" s'ouvre sur une scène de crime à la mise en scène horrifique: imaginez une victime porteuse d'un masque rituel aztèque, savamment mise en scène et à laquelle il manque le cœur. La victime? C'est la domestique dévouée d'un certain Müller. C'est là qu'entre en scène Lana Monterey, apprentie détective, dont les capacités d'analyse font des jaloux dans la police de Los Angeles – une police aux mains des hommes, peu encline à croire qu'une femme soit aussi compétente qu'eux. Pour créer de la tension, la romancière jette d'emblée dans le récit un élément structurant de son polar: Lana est en phase de divorce avec le lieutenant Kaminksi.

Sexisme, relations interpersonnelles tendues: ce n'est que le début d'un roman qui fait adroitement coup double: il met en scène une société multiculturelle, multiraciale aussi, ce qui donne à l'intrigue un aspect indéniablement diversifié. Mais la romancière se souvient que cela signifie aussi une société conflictuelle à plus d'un titre. Sous-jacents ou éclatants, ces conflits entre groupes de population rythment avec justesse "Les anges n'habitent pas tous au paradis". 

Ajoutons à cela que ce roman se déroule en 1939 et l'on devine que le rejet des Latinos, auquel répond le mouvement des "pachucos", et la stricte ségrégation entre Blancs et Noirs est une évidence qu'on trouve aujourd'hui bien triste. L'auteure va plus loin en intégrant à son récit les idées nazies, qui prospèrent aux Etats-Unis. A force, le lecteur va s'interroger sur l'actualité de ces jeux de discriminations: ont-ils vraiment disparu?

Une interrogation d'autant plus vive que la romancière a su, par contraste, construire une attachante équipe d'enquêtrices et d'enquêteurs à laquelle, outre Lana Monterey, viennent s'attacher Ezra Stein, juive lesbienne et androgyne qu'on aime pour sa gouaille et son dynamisme, et Ignacio, le gamin qui a toujours faim. Ah: et comme Los Angeles ne saurait être ce qu'elle est en 1939 s'il n'y avait pas le cinéma, une certaine Norma Jean, très séduisante avec sa coiffure blonde et son point de beauté, mène aussi l'enquête. Ceux qui aiment les paillettes verront en elle un double littéraire réussi de Marilyn Monroe, même si la temporalité, délibérément peu vraisemblable, laisse le doute planer. Les scènes du roman mettant en vue le Charles Chaplin du "Dictateur" sont en revanche bien ancrées dans l'Histoire – de même que l'une des punchlines du producteur Darryl F. Zanuck (p. 224), qui le fait passer pour un Harvey Weinstein avant l'heure.

Enfin, la guerre de l'eau apparaît comme la thématique la plus originale portée par "Les anges n'habitent pas tous au paradis". Elle permet à la romancière de développer un regard critique sur certains grands personnages de Los Angeles, par exemple le Mulholland de "Mulholland Drive": s'il a su irriguer Los Angeles, c'est au détriment des exploitations agricoles avoisinantes, dont les terres ont été asséchées pour le confort de la ville. On comprend, au fil des pages, que l'eau est un bien plus précieux que l'or en Californie; peut-être est-ce pour cela que les vignes y sont arrosées goutte à goutte – mais la romancière ne s'aventure pas sur ce terrain gouleyant.

"Les anges n'habitent pas tous au paradis" s'apprécie comme un bon vieux roman policier "hardboiled", à l'ancienne, violent parce qu'il faut bien du spectacle et de quoi nourrir la police jusqu'à la dernière page. Page après page, cependant, en puisant dans l'histoire, la romancière réussit à faire passer plus d'un message d'actualité au fin d'un livre d'une grande richesse, fruit de l'observation fine d'une cité qui, on le comprend au fil des pages, n'est pas forcément celle des anges et recèle son lot de diables. Et pour répondre à l'interrogation du début de ce billet: oui, ils sont tous là.

Maria P. Mischitelli, Les anges n'habitent pas tous au paradis, Saint-Etienne, Editions du Caïman, 2025.



Lu pour le défi Un Hiver Polar

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