lundi 6 octobre 2025

Camille Paule, les prisons de nos vies

Camille Paule – Quel bel objet que le livre "Trois quarts de peine" de la poétesse Camille Paule! On y trouve le logo de l'éditeur gaufré en relief sur la page de garde, et une poésie qui accorde une grande importance au gris typographique, auquel la poétesse confère tout un sens. Les éléments illustratifs abstraits, en couverture, en page de garde et en toute fin de recueil, invitent au rêve. Enfin, chaque exemplaire est numéroté à la main, donc unique: le mien porte le numéro 181.

La poésie de Camille Paule est une manière de raconter une vie banale en lui donnant le relief du rythme des vers libres. La banalité prend forme à travers quelques images récurrentes, ponctuantes même, telles que le café ou les tasses non lavées à la maison. 

L'expression de la vie banale de la personne qui s'exprime dans les poèmes de l'ouvrage est empreinte de liberté, à telle enseigne qu'elle n'hésite pas à placer, parfois, une virgule au terme d'un poème, d'une phrase: le poème est fini, mais pas l'expression. Certains blancs sont allongés au sein d'un vers, comme pour créer une attente. Il arrive aussi que l'anaphore soit utilisée pour forcer un rythme, comme dans "La petite sœur" (p. 52), texte bourré d'injonctions rigides.

Il en résulte des pages qui, avant même qu'on ne les lise, semblent belles à voir, et déjà porteuses de la lumière du sens. On sent ainsi qu'il reste un peu de place pour respirer dans la plupart des poèmes, mais que certains apparaissent plus lourds au regard, en particulier "Avez-vous mal quelque part?", écrit d'une seule traite, d'un souffle, sans ponctuation forte. On relève aussi, d'un coup d'œil, que ça crie en page 62, avec "Droit de visite" et ses abréviations indéchiffrables composées en capitales et en gras qui frappent douloureusement l'œil. La technocratie et ses acronymes sont-elles une prison?

Car c'est bien de cela qu'il s'agit, et le titre le suggère: la vie a quelque chose d'une prison, et l'auteure file la métaphore. Il y aura donc des parloirs, des droits de visite, un "Sursis probatoire". Cette image constante a cependant un adversaire libérateur dans "Trois quarts de peine": l'utilisation soignée, minutieuse, de tous les registres de langage. L'écriture poétique peut s'avérer précieuse, recherchée parfois, mais elle ne s'interdit pas de tomber les filtres pour dire "merde" lorsque ce mot s'impose.

C'est avec la force d'une écriture qui, mot après mot, va droit au but que se décline le premier recueil de Camille Paule, un recueil qui explore, succinct, les prisons plus ou moins invisibles ou manifestes qui retiennent chacun d'entre nous dans leurs barreaux: société, vie quotidienne parfois marquée par un peu de laideur, deuils et liens familiaux. Autrement dit, "Trois quarts de peine" promène un regard sur la vie qu'on mène aujourd'hui, acéré et suffisamment universel pour que tout un chacun s'y reconnaisse au moins une fois.

Camille Paule, Trois quarts de peine, Saint-Etienne, Maintien de la Reine, 2024.

L'Instagram de Camille Paule, celui des éditions Maintien de la Reine.

2 commentaires:

  1. Cette métaphore m'intrigue, je me note ce joli livre.

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    1. Oui, c'est un très bel ouvrage de poésie, publié chez un petit éditeur spécialisé de Saint-Etienne. A découvrir!

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