Marie Rouzin – La poétesse Marie Rouzin voyage entre les mondes de la poésie et de la narration avec son dernier ouvrage, "Traversées". Le premier texte de ce recueil, "Comment traverser la nuit?", relate un voyage onirique et nocturne, éclairé de manière fugace, vers la fin, par une prise de conscience du corps. Ce texte poétique en vers libres, on le comprend à la fin, est celui d'une naissance à la vie, déjà porteuse d'une histoire, comme le suggère le "me voilà" final, chargé de tout ce qui est relaté avant.
Le lecteur découvre une narratrice qui se raconte au plus près d'elle-même et de sa chair, embarquée dans un voyage empreint de mystère où elle hale une barque sur des eaux qui mènent on ne sait où. D'emblée, le lecteur est embarqué à sa suite dans un monde caractérisé par la porosité entre l'humain qui y évolue et ce que l'auteure appelle la "communauté du vivant": des animaux certes, et même des minéraux dont l'évocation confère au poème la saveur particulière, peu aisée mais nécessaire, de la vase qu'on doit avaler pour avancer.
Et ce monde tend à être hostile, comme s'il s'agissait de l'être pour contraindre la narratrice à avancer vers son destin, à être davantage elle-même. On sourit à l'image, avancée par un cheval de halage, du cœur qui bat comme les vieux sabots d'un cheval. Quant au rejet, il apparaît paroxystique lorsqu'on entend une corneille énoncer "voix voix voix", suivi d'un "fuis fuis fuis fuis fuis fuis fuis" impérieux: soudain, le rythme s'accélère, la pression se fait plus grande sur la narratrice. Enfin, il y a ce clin d'œil des vanneaux qui, disant "hi hi hi hi hi", répètent à chaque fois, si l'on suit le poème, les initiales des mots "honte" et "infamie" qui viennent immédiatement après.
Le long poème "Fugue" qui vient compléter le recueil constitue un univers distinct de celui de "Comment traverser la nuit?", et les moyens graphiques mis en œuvre eux-mêmes l'indiquent: marqué avant tout par des tirets de dialogues, "Comment traverser la nuit?" cède la place à un "Fugue" aux marges échancrées et à un jeu de polyphonie marqué par l'usage des italiques. Et dans "Fugue", on parle à la deuxième personne du singulier: le lecteur, la lectrice sont invités à se sentir directement impliqués.
Le motif de l'écologie apparaît de manière prégnante dans "Fugue", dès le début, avec l'image de l'eau. Il s'oppose à ces vers libres rédigés en italique, puissants, qui décrivent voire dénoncent les travers de la vie humaine de notre temps, conditionnée par le consumérisme. Quant au final, incantatoire, il résonne comme une invitation à se réapproprier soi-même, par tous ses sens (et, il faut le dire, leur évocation est omniprésente dans "Traversées") en communion avec une nature réconciliée. Et là, c'est "l'oiseau sur ton épaule", symbole et promesse de liberté que le lecteur porte sans le savoir et que la poétesse révèle, qui parle.
Marie Rouzin, Traversées, Caluire-et-Cuire, Sous le Sceau du Tabellion, 2025. Préfcace de Matthieu Lorin. Dessins d'Arlette Lebouvier.
Le site des éditions Sous le Sceau du Tabellion. En partenariat avec Masse Critique Babelio.


Je ne connaissais pas ce recueil mais merci pour ton analyse, d'autant que partager ses impressions sur de la poésie, genre si personnel, n'est pas forcément chose aisée.
RépondreSupprimerBonjour Audrey! C'est un très beau recueil, et l'éditeur, rencontré à Saint-Etienne, fait un magnifique travail. Bonnes lectures à toi, et merci pour ton commentaire!
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