"Néfertiti dans un champ de canne à sucre" est un roman drôle et déjanté qui fait partie des textes du Philippe Jaenada première manière: de manière libre, c'est sa propre expérience de vie qu'il met en scène. Jusqu'à l'outrance? Le lecteur en jugera. Reste que les décors sont plantés de manière réaliste et sans maquillage: le Saxo Bar, cœur de l'intrigue, a bel et bien existé dans le dix-septième arrondissement de Paris, rue de la Jonquière, et les personnages qu'il évoque par leurs prénoms sont sans doute réels.
Restent deux personnages aux apparences de fiction: Olive Sohn, qui pourrait être Anne-Catherine Fath (la fille de la couverture du livre), et Titus Colas, alias... Philippe Jaenada lui-même, serait-ce dans sa version romancée?
"Néfertiti dans un champ de canne à sucre" peut être vu comme un roman d'apprentissage amoureux survolté, excitant aussi. Titus Colas, le narrateur, a certes couché avec d'innombrables filles, mais avec Olive Sohn, comme on dit, c'est différent. Ce sera profond, vécu à cent à l'heure, et l'ensemble du roman, qui couvre quelques semaines d'une vie, aura vu naître, fleurir et dépérir (à la manière d'une plante, et – tiens – il y a dans ce roman une plate verte qui, puisant de quoi se nourrir dans une minijupe qu'Olive a oubliée (elle est partie en slip?) et que Titus a rangée au fond de son pot, connaît pareil destin) un amour atypique, insatiable, entre deux personnages handicapés de la vie à force d'avoir vécu avec des parents bizarres. Ainsi, la voracité sans commune mesure d'Olive résonne avec ses appétits sexuels, exprimés sans filtre.
Il est permis de voir dans Olive Sohn l'archétype du fantasme masculin par excellence: une fille jeune, bien gaulée et constamment disponible, voire demandeuse, pour une partie de jambes en l'air. En dessinant le personnage de Titus Colas, cependant, l'écrivain tempère ce trip et le ramène à une certaine réalité qui, on le découvre au fil des pages, n'est facile à vivre pour personne.
Le lecteur se divertit certes des obsessions qui vont travailler Titus Colas, un personnage qui finit par voir des lapins partout (un animal qui baise beaucoup, dit-on...) et développe des pathologies: somatise-t-il son histoire d'amour torturée avec l'excentrique Olive Sohn? Et puisqu'on parle d'elle, le lecteur la découvre torturée aussi, travaillée par un vécu marqué par le porno, qui n'empêche pas l'amour vache avec un certain Pascal. Dès lors, le lecteur se dit que ces deux-là étaient faits pour se rencontrer; mais pour vivre ensemble? Voire, comme disait Panurge.
Et la musique de ce roman, alors? Du tout bon Jaenada! Ceux qui apprécient ses parenthèses à tiroirs seront servis, sans être gavés pour autant: à chaque fois, ce sera drôle, car le narrateur sait rire de lui-même. L'auteur joue également le jeu friand des images improbables mais qui font mouche. Enfin, au-delà de l'idylle qui sert de fil rouge au roman et réserve quelques intermèdes érotiques bien sentis, celui-ci est marqué par quelques scènes très travaillées, par exemple celles vécues chez le dentiste ou chez un médecin-détective. L'auteur les détaille à un point tel qu'à un moment ou à un autre, nécessairement, le lecteur finira par s'y reconnaître. Et par sourire des traumatismes qu'il a vécus jadis ou naguère en cabinet médical...
Phililppe Jaenada, Néfertiti dans un champ de canne à sucre, Paris, Julliard, 1999/Points, 2009.
Le site des éditions Points, celui des éditions Julliard.
Quel plaisir de retrouver un vieux Jaenada sur les blogs... j'ai aimé la plupart des titres écrits depuis qu'il s'adonne au récit de faits divers, mais j'éprouve toute de même une certaine mélancolie pour ses romans du début, et leur ton inimitable..
RépondreSupprimerBonjour Ingrid, merci pour ton commentaire! Oui, c'est toujours agréable de retrouver l'écriture de Philippe Jaenada, avec son humour et ses parenthèses à tiroirs. Il sortira un nouveau livre cet automne... affaire à suivre!
SupprimerBonne fin de semaine à toi!
Ca a l'air assez déjanté, mais pourquoi pas, comme c'est un bon cru de l'auteur.
RépondreSupprimerBonjour Alex! Oui, c'est un bon - de ceux comme Philippe Jaenada en écrivait lorsqu'il utilisait sa propre expérience comme matière littéraire, avant de s'intéresser aux faits divers. Il est annoncé pour la Fête du Livre de Saint-Etienne...
SupprimerBon week-end!