Francesco Micieli – "Si les forêts nous quittent" est un court roman polyphonique qui se présente comme celui de la génération climatique. Elaboré par l'écrivain Francesco Micieli à partir d'expériences réalisées lors d'ateliers d'écriture organisés avec des jeunes, migrants ou non, il dresse le portrait sans fard, franc et sincère, d'une poignée de jeunes gens plus ou moins activistes, inquiets pour le climat sur Terre et, partant, pour leur avenir.
On le comprend peu à peu, chacun des chapitres de "Si les forêts nous quittent" est une déposition faite à la police. Il y a de l'oralité à chaque fois, des tentatives d'argumentation, la citation d'auteurs. Chaque personnage se dévoile ainsi, et le lecteur voit les tendances: une jeunesse inquiète et désireuse de partager cette inquiétude, nourrie aussi de références livresques qui ponctuent le roman, voire d'extraits musicaux.
L'engagement se présente comme modeste dans les actes, discret, même s'il est spectaculaire: libérer des animaux captifs (pas facile), occuper un pont. Les arguments du petit groupe d'activistes sont classiques: c'est peu de chose alors que la Terre pourrait devenir inhabitable sous peu, la faute au réchauffement climatique et à ceux qui en sont coupables. L'équipe est par ailleurs habitée par une forme de nihilisme qui, par exemple, refuse la possibilité de faire des enfants dans un monde condamné.
Et puis il y a Ginkgo, une fille qui exerce un attrait magnétique sur tout le monde... et devient une sorte d'égérie malgré elle. "Nous sommes tous tombés amoureux d'elle", lit-on ainsi à la page 20 et à la page 28 – un tous qu'on peut tout à fait mettre au féminin. Et c'est autour de sa disparition inexpliquée que "Si les forêts nous quittent" gravite, avec, on le comprend à la fin, une police accusée de ne jamais en faire assez.
Ginkgo? Belle trouvaille pour un prénom! Le lecteur se souvient de cet arbre japonais qui résiste même à la radioactivité, et imagine sans peine une personne supérieure, peut-être une sorte d'humaine déesse païenne, fédératrice pour le coup, mais bien malgré elle. Sa disparition reste inexpliquée, même si un document cité dans le livre tend à dire qu'elle refuse ce rôle de prophétesse, d'égérie. Mais ce document est apocryphe, précise-t-on...
... et un ginkgo qui disparaît, c'est la métaphore d'une forêt qui s'efface, en écho à l'arbre qui abrite la terrasse du bistrot fictif Watter, à Berne, où se retrouvent les membres de l'équipe auxquels l'auteur donne la parole tour à tour. Et surtout, c'est celle d'une équipe d'activistes qui se dissout faute d'un élément fédérateur. Ces activistes laissent inachevé leur projet de manifeste, rédigé phrase par phrase: s'il paraît assez creux et peu concerné au lecteur (il se souviendra surtout du fait qu'il se veut inclusif avec ses points médians pesants: "Nous voulons un monde bon pour tou·te·s. Et que nous disons tou·te·s, c'est tout·te·s!"), le fait qu'il soit resté en chantier est assumé par ceux qui y ont contribué. A d'autres de s'y remettre? Peut-être.
Il y a de la poésie dans chacun des chapitres de "Si les forêts nous quittent", ne serait-ce que dans la mise en page qui invite à la scansion à force de retours à la ligne. Quitte à paraître un peu indistincts, les personnages mis en scène, aux prénoms venus d'ici comme d'ailleurs, véhiculent ensemble le même message d'inquiétude exacerbée face au changement climatique et à un certain sentiment d'impuissance face à l'ampleur du défi. Libérer des animaux ou occuper un pont paraît dès lors bien dérisoire, de même que boire sa consommation à la bouteille pour éviter d'utiliser des gobelets en carton jetables, si ce n'est pour calmer quelque peu ce qu'on appelle désormais la solastalgie, ou, pour reprendre le dossier de presse, "la détresse émotionnelle causée par la destruction des biotopes".
Francesco Micieli, Si les forêts nous quittent, Vevey, Hélice Hélas, 2024. Traduit de l'allemand par Christian Viredaz.
Le site des éditions Hélice Hélas.
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