Hélène Dormond – Comment devenir agente de police quand on est fleuriste? Il suffit de quelques hasards de l'existence, et de quelques qualités de rigueur et de moralité. Mais celles-ci sauront-elles tenir le choc face à la vraie vie? Dans son troisième roman, "Zone de contrôle", l'écrivaine vaudoise Hélène Dormond pose la question en se mettant dans la peau de Marianne.
Marianne, c'est la rigueur et la morale personnifiées, jusqu'à la caricature. On la voit mettre des contraventions aux automobiles mal stationnées en ville de Lausanne, et adhérer bien comme il faut aux justifications qu'elle donne à son zèle au travail. Trouvant un message qui revisite de manière pour le moins passionnée la chanson "Mon Légionnaire" d'Edith Piaf sous son placard au travail, qui ne lui est manifestement pas adressée, elle décide de mener sa propre enquête: aimer le commissaire, ce n'est pas moral!
Ainsi se noue une intrigue policière particulière, marquée par la rumeur qui enfle (et que l'auteure fait très bien chauffer...) et les sentiments humains, dont le cadre d'enquête est la police elle-même. L'auteure en profite pour radiographier l'ambiance qui règne dans une petite équipe d'auxiliaires de police: des gens loyaux en apparence, fidèles à leur devoir d'ordre, ce qui n'empêche pas les dérapages, sous forme de mobbing par exemple.
En contrepoint du monde professionnel, il y a la vie privée. Créant autour de Marianne une famille complexe sous ses apparences bien correctes, l'auteure confère à son personnage l'épaisseur qui fait qu'on va y adhérer. La romancière crée avec Charles-Armand un père tyrannique à l'ancienne, lui-même obsédé par la rigueur, source d'effroi pour ses filles. Comme pour adoucir ce côté inquiétant, l'auteure imagine le surnom qu'il donne à la pantoufle avec laquelle il menace régulièrement de frapper sa progéniture. Ce sera Albert, et dans le roman, cette pantoufle est traitée comme un véritable personnage récurrent.
Chaque membre de cet entourage trouve le moyen de s'émanciper de ce qui se présente comme un déterminisme familial, marqué par la rigueur qu'on prête volontiers au protestantisme. Chacune des sœurs de Marianne a trouvé sa voie, a même su "tuer le père", par exemple en prenant ses distances. Les enfants de Marianne font pareil, semblant échapper à leur mère, veuve prisonnière de son deuil. Même le patriarche Charles-Armand semble finir par quitter son armure de patriarche. Et Marianne? Autant voire plus encore que de son entourage, c'est d'elle-même que cette quadragénaire paraît prisonnière.
Une telle histoire peut paraître grave, lourde des ambiances familiales recuites. L'auteure sait cependant tempérer cela par un humour certain, qui apparaît lors de scènes d'anthologie (la description d'un trip dû à une omelette aux psilocybes vaut son pesant d'or, tout comme l'épique torchée que se prend Marianne à Barcelone – et même un repas aux Trois Rois, magnifique restaurant lausannois, s'avère révélateur) ainsi que dans le jeu, original et souriant, des comparaisons qui émaillent le roman.
"Zone de contrôle" apparaît dès lors comme une forme de plaidoyer pour le lâcher-prise face aux déterminismes familiaux et sociaux, illustré par l'exemple de personnages volontairement très ordinaires, Vaudois comme il y en a tant, construits de façon crédible, en proie à des soucis familiers pour n'importe quel lecteur.
Hélène Dormond, Zone de contrôle, Lausanne, Plaisir de lire, 2021.
Le site d'Hélène Dormond, celui des éditions Plaisir de lire.
Lu par Francis Richard.
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