vendredi 1 novembre 2019

Les quatre cents coups d'un groupe d'ados

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Julien Decoin – Une bande d'amis, une première cuite, l'idée d'un groupe de fonder un groupe de rock: tel est le point de départ de "Un truc sauvage", premier roman de Julien Decoin (le fils de Didier). Son titre fait référence à la première chanson jouée par le groupe, "Wild Thing" des Troggs. Quant à son incipit, "Je me promets de ne plus jamais boires d'alcool", il résonne de façon piquante avec la dernière phrase du livre: "A la tienne." Qu'y a-t-il donc entre deux?

C'est un ado qui raconte, un ado dont le verbe trahit une surprenante maturité et paraît presque sage et grave, malgré son évidente vigueur. Avec ses amis, il entend faire les 400 coups, et tous suivent un décompte précis. Quel sera le dernier? En voyant cette bande indéfectible (image récurrente de la main à 6 doigts, correspondant au nombre de gars de l'équipe), on pense aux artistes de "La Touffe Sublime" d'Ivan Sigg (d'autant plus qu'il y a du Beatles, la musique de Papa étonnamment, dans ce groupe de millenials), ou peut-être aux "Copains" de Jules Romains.

Pourtant, le personnage d'adolescent dessiné par l'auteur sonne vrai avec son souci de ce que les autres disent de lui, les parents en premier lieu, et son besoin d'appartenance: seul le groupe de musique donne suite à ce besoin, l'ado mis en scène apparaissant comme assez isolé par ailleurs, incapable encore de dire un sentiment amoureux à Emilie, celle qu'il aime et idéalise – majuscules à l'appui. Il se présente aussi comme un lycéen médiocre et gris, peu soucieux de son avenir. Mais qui a ses idoles musicales, quand même.

Le groupe a une âme et un moteur: c'est son leader, seul musicien réellement formé du groupe. L'auteur dessine là un beau personnage de meneur charismatique, pédagogue en diable. On retrouve le groupe dans les bars et bistrots de province, jouant de façon un peu bancale mais attachante, touchant ses cachets sous forme de bières.

Signalée par un mystérieux homme rencontré dans la nuit, l'irruption de l'entreprise Lapar constitue un virage dans le récit. Le romancier revisite ici le thème du pacte avec le diable, en le mettant au goût du jour, dominé par la raison: le diable prend la forme d'une entreprise capable d'offrir du bonheur aux gens. Organisation aimant isoler et flatter, Lapar a aussi des allures de secte (p. 107 et précédentes). Et ça semble marcher: le groupe connaît des succès, trouve des engagements dans des salles parisiennes. Côté Emilie, ça devient faustien... Quel est le prix du contrat que le narrateur a signé avec Lapar? Et quel rôle effectif cette organisation joue-t-elle? L'incertitude ouvre la porte à un climat fantastique.

«On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans»: la phrase de Rimbaud, attendue, est bel et bien citée par l'auteur, à plus d'une reprise. "Un truc sauvage", c'est le récit mêlé d'introspection de six adolescences presque comme les autres, avec le souvenir d'un succès improbable, fulgurant mais fragile. Et bien sûr la bière, les filles et le rock. Amertume incluse.

Julien Decoin, Un truc sauvage, Paris, Seuil, 2014.


2 commentaires:

  1. Belle chronique ! je ne sais pas si ce livre pourrait me plaire mais à ta façon dont tu en parles, on a l'impression que l'intrigue colle à une réalité d'une autre époque.

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    1. Merci! En effet, il y a des références qui paraissent surprenantes pour des jeunes d'aujourd'hui, mais qui semblent pourtant spontanées. Une bonne découverte en tout cas!

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