dimanche 17 novembre 2019

Délicieuse et nécessaire histoire du vin, révélatrice de notre humanité

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Didier Nourrisson – Y a-t-il un thème plus délicieux que le vin pour raconter l'histoire humaine? Spécialiste de l'historiographie des comportements alimentaires et des questions telles que la cigarette ou l'hygiène, historien peu désireux de parler de guerres et de batailles, Didier Nourrisson propose avec "Une histoire du vin" un document qui, à travers le jus de la treille, raconte quelque chose de notre belle et complexe humanité.


En préambule (qui a dit préam-"bulles"?), force est de relever la richesse et la diversité de la documentation que l'auteur a utilisée. La bibliographie est importante; elle va du prospectus à l'étude fournie, et l'historien en relève le caractère volontiers passionné, voire tranché. Il n'est pas évident de tracer une voie raisonnable et dépassionnée là-dedans; tel est pourtant le projet, réussi, de "Une histoire du vin". Ce qui n'exclut pas les illustrations pittoresques: l'auteur n'hésite pas à citer quelques poètes et chansonniers pour ajouter un supplément de saveur à son propos.

Le lecteur va se trouver face à un ouvrage structuré de façon chronologique, l'auteur allant chercher les origines du vin du côté de l'Arménie et de la Géorgie, il y a quelque six mille ans. Une structure classique et rassurante! La description des débuts du vin, fort anciennes, se fondent sur des indices ténus, parfois mythiques même, à l'instar de l'évocation de Noé qui planta la vigne – l'érudition de l'auteur lui permet d'amener d'autres histoires encore: il parvient par exemple à citer les premières allusions écrites à l'ivrognerie. L'auteur sait cependant les faire parler: ivresse et statut social sont des questions qui se posent même aux temps les plus reculés. Il sera aussi question de ces Romains qui ont colonisé la France par les ceps.

Peu à peu, l'auteur resserre son point de vue sur la France, certes un pays emblématique en matière de vin – mais qui est aussi celui de l'historien. D'anecdotes en analyses, il place son sujet dans les différents contextes historiques. Le vin apparaît ainsi comme une boisson longtemps réservée aux nobles, donc un marqueur de classe, au Moyen Âge et jusqu'à la fin de l'Ancien régime. De façon fouillée, l'historien décrit aussi la mise en place des terroirs fameux de la Bourgogne et du Bordelais, rappelant le rôle des Anglais, bons clients, dans les origines de ce dernier vignoble et de son organisation.

L'historien s'intéresse aussi au caractère populaire du vin, devenu objet de sociabilité, qui émerge au dix-neuvième siècle et culmine durant la première moitié du vingtième siècle, avec des vins légers qui ne sont cependant déjà plus la piquette des temps antérieurs. Il indique aussi l'opposition entre le vin, réputé salutaire, et les alcools forts, qui sont à bannir. Bien entendu, il rappelle Pasteur ("Le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons"); il rappelle aussi, entre autres, que Philippe Pétain a joué le vin, supposé bénéfique et porteur de valeur civique, contre l'alcool fort (entre autres le pastis, et son créateur, Paul Ricard, évoque des oppositions récurrentes de ce genre dans son propre livre, "La passion de créer"), et qu'en France, l'on éduquait naguère les enfants au bon vin.

Reste que les derniers chapitres analysent un virage que l'auteur place justement après la fin de la Seconde guerre mondiale: on commence à parler du vin comme d'une boisson alcoolique comme une autre, on isole chimiquement l'alcool et, peu à peu, plus ou moins incitée, la société se met à boire moins (et moins souvent), mais mieux. L'historien démontre donc comment, peu à peu, le p'tit jaja a quitté les tables du quotidien. Il esquisse aussi l'émergence des tendances les plus récentes telles que le bio, et évoque les nouveaux pays du vin comme la Chine. Les sources sont récentes pour le coup; dès lors, l'auteur ne manque pas de citer quelques cas typiques qui trouvent leurs racines entre Saint-Etienne et Lyon, du côté du Forez. Pour reprendre les mots de l'historien, c'est "l'époque du bon vin" – la nôtre. 

Qu'on me permette une comparaison: au fil des pages, on se dit que le vin, à l'instar du jeu tel que l'a décrit le professeur d'administration publique Jean-Patrick Villeneuve, est "le bon, la brute et le truand" ("The Good, the Bad and the Ugly: Regulating Gambling in the XXIst century", Lausanne, conférence Bignami, 2011): le bon avec goût et modération, la brute lorsqu'il favorise l'excès, le truand lorsqu'il triche: cela aussi, jus de betterave ou coupages abusifs, on le trouve dans "Une histoire du vin"... 

Le vin d'hier n'est pas celui d'aujourd'hui, on le comprend au fil des pages, et les buveurs changent de visage et d'habitudes au fil des siècles! Evolution du goût et des modes, description d'un fait de société, équilibre entre l'ivresse excessive et la dégustation, où la prophylaxie et l'hygiène viennent jouer leur partition: l'historien se fait aussi sociologue, historien de l'économie, juriste à l'occasion, voire analyste littéraire. Le vin apparaît dès lors comme un aliment complet... en particulier pour l'historien! Le lecteur se délecte bien sûr en entendant résonner au détour des pages les noms des terroirs fameux. Mais même sans cela, il trouvera son bonheur au fil de ces pages riches et goûtues, écrites d'une plume aisée, parfois astucieuse, toujours exacte, soucieuse de parler au grand public d'un sujet qui reste éminemment populaire.

Didier Nourrisson, Une histoire du vin, Paris, Perrin, 2017.



2 commentaires:

  1. D'ailleurs, il y a longtemps que tu ne nous a pas conseillé une bonne bouteille....

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    1. En effet! Il faudra que j'y remédie… :-) Bonne semaine à toi!

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