Jacques Plaine – A quelques jours de la Fête du Livre de Saint-Etienne, il est temps de se plonger dans le livre de souvenirs de Jacques Plaine, l'homme au noeud papillon et aux lunettes posées sur le front, artisan de cette manifestation, de sa création jusqu'à aujourd'hui. Paru aux éditions du Cherche-Midi, ce livre assume une narration toute de simplicité et de sobriété- En effet, pour un recueil de souvenirs d'un libraire, quel meilleur titre, plus clair et plus direct, que "Souvenirs d'un libraire"?
Voilà un titre qui annonce la couleur: en utilisant l'indéfini "un", l'auteur se décrit comme un libraire parmi d'autres, avec ses succès et ses revers. Ce que le livre confirme: le plus souvent brefs, les éclats de vie et les anecdotes sont racontés sur un ton simple et direct où l'auteur ne cherche pas à se donner systématiquement le beau rôle. Au contraire: si l'histoire est belle, même si c'est en quelque mesure à son détriment, l'auteur la raconte. On sourit donc lorsqu'il se retrouve obligé, devant les caméras, de payer le livre d'un Joseph Joffo qui se targue de vendre ses livres aux organisateurs des fêtes du livre où il est présent. On sourit aussi à l'évocation du personnage d'Aguigui Mouna, figure originale, "Ferdinand Lop des Boulevards, funambule des mots tordus, tribun cyclo-anar...", qu'il a fallu apprivoiser du côté de Beaubourg. Sans parler des coulisses de la première édition de l'émission "Ouvrez les guillemets", animée par Bernard Pivot...
C'est dans la même simplicité que l'auteur narre les succès de son existence. Nombreux sont les noms cités, à l'instar de Louis Nucéra ou de Jean Guitton, qui apparaissent comme des figures tutélaires dans la dernière partie du livre, "Ainsi soit-il ou les jeux sont faits". Les pages de ces "Souvenirs d'un libraire" sont aussi traversées par des personnalités telles que l'excellent René Fallet, ou les Magnard, qui ont développé le concept des cahiers de vacances, montrés comme une manne pour les libraires. D'ailleurs, qui se souvient d'Arsinoé, imaginée par Christophe Izard pour la télévision française? Pleine de fraîcheur, la photo de quatrième de couverture m'a rappelé quelques instants passés devant la télévision au temps de mon enfance...
L'auteur, en effet, fait visiter les coulisses du métier de libraire, et le lecteur y croit: il y a cette gestion des moments forts et des moments creux de l'année, ces clients jeunes qui viennent lire les éditions Budé pour se faire une culture latine à moindres frais, ces mouvements de rayonnages incessants, en fonction des stocks qu'il faut bien valoriser. Cela, sans compter les pauses de midi qui n'en sont pas vraiment: lorsqu'on mange en famille dans la librairie, on est toujours à l'écoute d'un éventuel client.
C'est que l'écrivain, dynaste en matière de librairie, ne manque pas d'indiquer d'où il vient, en évoquant sa famille en début de livre. On sourit aux attitudes de cet aïeul à la surdité sélective, à Colette, l'épouse de l'auteur, dont la personnalité affleure au gré de l'une ou l'autre anecdote, ou alors aux premières épreuves sportives auxquelles Jacques Plaine a participé, alors qu'il était à peine adolescent. Ce tropisme du sport traverse tout le livre: il sera entre autres question de la montée des soleils de l'automne, rituel indissociable de la Fête du livre de Saint-Etienne, et du compagnonnage avec Paul Fournel, oulipien stéphanois féru de vélo. Mais avant cela, il a bien fallu que l'auteur convainque son père qu'il sera meilleur libraire que bachelier: encore une anecdote, rappelant qu'être libraire n'a rien d'un atavisme!
Cédant çà et là à l'envie d'évoquer quelques perles, l'écrivain relève aussi les demandes les plus improbables de sa clientèle, les phrases les plus pénibles à entendre parfois, et laisse entendre que fermer la librairie n'a pas forcément été une mauvaise chose dans son parcours: "Il s'agit de mille petits riens, mille offense bénignes, avanies de comptoirs, agressions de surface, mille broutilles qui m'ont, l'espace d'un matin, donné l'envie et le courage de dire: "J'arrête"", avoue-t-il à la toute fin du livre. Un mal pour un bien? Le libraire Jacques Plaine a aussi été la bonne fée du Salon du Livre de Paris, puis de la Fête du Livre de Saint-Etienne, dont le modèle a essaimé çà et là au fil des années.
Mais il apparaît qu'au fil du temps, l'auteur ne regrette rien. En effet, le lecteur découvre, au fil des pages, par flashes, mille anecdotes d'un homme discret mais plein d'idées, dont la vie a été marquée par les livres, reconnaissant de ce que cela lui a aussi apporté en termes de rencontres et de belles histoires. Tout cela est raconté sur un ton qui sonne à la manière stéphanoise, charriant mine de rien son lot de régionalismes et de mots du parler gaga – sans compter l'évocation de figures locales telles que l'éditeur Claude Bussy ou l'artiste Jean Alexis Bobichon, spécialiste de la peinture sous verre. Mais plus que tout, l'écriture de Jacques Plaine est empreinte de simplicité et d'humilité: "Souvenirs d'un libraire" est le livre d'un homme qui, au fil des ans et des métiers, entre limites assumées et succès reconnus, s'est fait le héraut de ce trésor que nous chérissons tous: le livre.
Jacques Plaine, Souvenirs d'un libraire, Paris, Le Cherche-Midi, 2002/2015. Avant-propos de Gaël Perdriau et Paul Fournel. Illustrations (souriantes) de Piem.
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