Bessa Myftiu – Un personnage qui accouche les âmes: tel est le profil de la narratrice de "La Dame de compagnie", dernier roman de Bessa Myftiu. Ses clients? Ce sont quatre personnes vivant du côté de Genève, divers, que le lecteur est aussi amené à observer de manières différentes. Tous ont leurs blessures, qu'ils vivent à leur manière, et l'auteure excelle à mettre en scène des personnages très différents.
Il y a donc ce vieil homme un brin paternaliste, aveugle, qui a lui-même souffert dans son enfance d'une mère violente. C'est avec lui que le roman commence, et l'auteure met en scène l'exercice normal du métier: lecture de livres, échanges de points de vue pas forcément agréables à entendre. Mais la dame de compagnie encaisse. Il y a cette comédienne de quatre-vingt-dix ans qui revoit sa vie et ses amants. Il y a ce jeune homme aux jambes paralysées, suicidaire dans son fauteuil roulant, philosophe à ses heures. Et cette dame qui a perdu ses parents et croit les reconnaître au moindre signe de la nature. Toujours, la narratrice est à l'écoute. Les rencontres ne sont jamais ennuyeuses: l'auteure sait en faire des variations, par les mots ou les points de vue.
On ne sait pas le nom de cette narratrice, qui fait profession de dame de compagnie – suprême illustration de l'oubli de soi! On sent que la dame de compagnie s'oublie dans son métier, qu'elle fait avant tout office d'intermédiaire entre des personnages aux destins particuliers et le lecteur. Toujours à l'écoute, acceptant qu'on lui dise "Mon petit" ou "Ma petite" comme à n'importe quelle gamine, elle s'investit dans son travail, qu'elle prend très au sérieux, quitte à faire passer au second plan sa vie sentimentale – on pense ici à Robert, son compagnon, insatisfait de se sentir parfois comme un être de seconde zone. Cela, d'autant plus que la narratrice aimerait que son gagne-pain soit davantage pris au sérieux, qu'il ne soit pas vu comme un pis-aller ou quelque chose de ringard. L'introspection n'est pas l'élément prioritaire de ce roman, où beaucoup de choses passent par les dialogues et l'interaction.
En exploitant les liens entre certains personnages, l'écrivaine donne un supplément de dynamisme à un roman qui aurait été assez statique sans cela. Ce sont des coïncidences, énormes, comme on n'en trouve que dans les romans: une auditrice a été amoureuse du vieil aveugle, la comédienne aimerait revoir son amant aux airs d'ange. Transparente par elle-même, empathique à l'excès, la narratrice joue le rôle de catalyseur des vies de chacune et chacun.
Philosophe plutôt que comptable, désireuse de bien faire, elle va jusqu'à partager sa propre philosophie, en particulier avec Arthur, le jeune homme suicidaire. Cela, quitte à ce que certains échanges paraissent sentencieux ou convenus ("Il n'y a pas d'âge pour l'amour", p. 128). Reste qu'avec la brochette de personnages qu'elle met en scène, l'auteure excelle à multiplier les points de vue sur l'un des thèmes clés de la philosophie: la mort et la manière de l'appréhender. Chaque personnage a son point de vue sur sa mort ou sur celle de ces proches, ce qui fait de celle-ci un thème récurrent observé avec adresse. A la mort vient s'opposer l'amour, en un contrepoint classique: les attachements et ruptures sont récurrents dans "La Dame de compagnie". Eros et Thanatos s'affrontent au fil des pages, ou mènent leur propre combat chacun de son côté.
"La Dame de compagnie" est un roman rythmé par des dialogues rapides, qu'on peut rapprocher, par ses fondements si ce n'est par le traitement du sujet, du rêveur "Femme de seconde main" d'Uršul'a Kovalyk. Il prend place derrière les façades calmes de Genève et des environs, et les drames qui s'y nouent, si lourds qu'ils soient à porter au niveau personnel, restent intimistes, de même que les tensions qui ne manquent pas de s'installer. L'auteure creuse avec talent ses personnages, les oblige à se dévoiler, et leur confère une profondeur que le lecteur apprécie: avec leurs qualités et leurs défauts, tous s'avèrent intéressants et attachants. Et la porosité entre le métier, les sentiments plus ou moins avoués et la volonté de sortir du strict cadre professionnel, en acceptant (ou pas) un repas ou une demande en mariage par exemple, installe un soupçon de trouble dans ce roman porteur d'ambiances.
On ne sait pas le nom de cette narratrice, qui fait profession de dame de compagnie – suprême illustration de l'oubli de soi! On sent que la dame de compagnie s'oublie dans son métier, qu'elle fait avant tout office d'intermédiaire entre des personnages aux destins particuliers et le lecteur. Toujours à l'écoute, acceptant qu'on lui dise "Mon petit" ou "Ma petite" comme à n'importe quelle gamine, elle s'investit dans son travail, qu'elle prend très au sérieux, quitte à faire passer au second plan sa vie sentimentale – on pense ici à Robert, son compagnon, insatisfait de se sentir parfois comme un être de seconde zone. Cela, d'autant plus que la narratrice aimerait que son gagne-pain soit davantage pris au sérieux, qu'il ne soit pas vu comme un pis-aller ou quelque chose de ringard. L'introspection n'est pas l'élément prioritaire de ce roman, où beaucoup de choses passent par les dialogues et l'interaction.
En exploitant les liens entre certains personnages, l'écrivaine donne un supplément de dynamisme à un roman qui aurait été assez statique sans cela. Ce sont des coïncidences, énormes, comme on n'en trouve que dans les romans: une auditrice a été amoureuse du vieil aveugle, la comédienne aimerait revoir son amant aux airs d'ange. Transparente par elle-même, empathique à l'excès, la narratrice joue le rôle de catalyseur des vies de chacune et chacun.
Philosophe plutôt que comptable, désireuse de bien faire, elle va jusqu'à partager sa propre philosophie, en particulier avec Arthur, le jeune homme suicidaire. Cela, quitte à ce que certains échanges paraissent sentencieux ou convenus ("Il n'y a pas d'âge pour l'amour", p. 128). Reste qu'avec la brochette de personnages qu'elle met en scène, l'auteure excelle à multiplier les points de vue sur l'un des thèmes clés de la philosophie: la mort et la manière de l'appréhender. Chaque personnage a son point de vue sur sa mort ou sur celle de ces proches, ce qui fait de celle-ci un thème récurrent observé avec adresse. A la mort vient s'opposer l'amour, en un contrepoint classique: les attachements et ruptures sont récurrents dans "La Dame de compagnie". Eros et Thanatos s'affrontent au fil des pages, ou mènent leur propre combat chacun de son côté.
"La Dame de compagnie" est un roman rythmé par des dialogues rapides, qu'on peut rapprocher, par ses fondements si ce n'est par le traitement du sujet, du rêveur "Femme de seconde main" d'Uršul'a Kovalyk. Il prend place derrière les façades calmes de Genève et des environs, et les drames qui s'y nouent, si lourds qu'ils soient à porter au niveau personnel, restent intimistes, de même que les tensions qui ne manquent pas de s'installer. L'auteure creuse avec talent ses personnages, les oblige à se dévoiler, et leur confère une profondeur que le lecteur apprécie: avec leurs qualités et leurs défauts, tous s'avèrent intéressants et attachants. Et la porosité entre le métier, les sentiments plus ou moins avoués et la volonté de sortir du strict cadre professionnel, en acceptant (ou pas) un repas ou une demande en mariage par exemple, installe un soupçon de trouble dans ce roman porteur d'ambiances.
Bessa Myftiu, La Dame de compagnie, Genève, Encre Fraîche, 2018.
Le site des éditions Encre fraîche.
Lu par Amandine Glévarec, Francis Richard.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Allez-y, lâchez-vous!