Marie-José Imsand – C'est pour ainsi dire la chronique d'une transgression qui ouvre les yeux. "Affaires étrangères", court roman de Marie-José Imsand, évoque la destinée de Cheng Le How, un ambassadeur chinois en poste à Paris, soudain dépositaire du journal de Souen Akar, enfant tibétaine, dernière princesse de Potala: il doit le remettre à son héritière, Sarah Jacobs. Cela commence par la caresse des livres d'une bibliothèque ultra-protégée, celle d'un palace: normalement, pour que rien ne se détériore, seul le conservateur est autorisé à toucher ces ouvrages précieux.
Puis c'est la découverte du manuscrit, après l'objet, porteur de magie et de mystère, sous le papier bulle ingrat. La découverte du texte est transgressive, une fois de plus: le diplomate, narrateur du récit, est censé le remettre à l'héritière de Souen Akar. S'installe alors un dialogue entre ce manuscrit, daté de 1950, et le diplomate, qui va le lire. Une narration à deux voix s'installe donc, à travers les années et les distances. Narration où le poids des traditions et des lois domine les élans du cœur: "Le feu de l'amour que ma mère portait à mon frère, seul héritier du royaume, s'est éteint, le matin où la garde royale les a séparés comme le veut la tradition", dit le journal.
Et l'émotion s'installe. Important moment que ce court chapitre de la page 14, où un peu de transpiration fait coller les doigts du narrateur-lecteur au précieux manuscrit. Transpiration fruit de l'audace peut-être, du trouble sans doute.
Et cela n'a rien d'évident: au bout d'un moment, le lecteur découvre dans l'ambassadeur un amant en série, au physique de "L'Amant" de Marguerite Duras, rendu vantard au sujet de ses conquêtes réelles ou supposées par la consommation d'alcool dans un bar d'hôtel. Incroyable aveu du narrateur, dès lors: "Ce manuscrit m'ouvrait au monde du sentiment, alors que j'étais un homme qui n'y avait prêté aucune attention.", dit-il, en plein dans ce qui a tout d'une confession. "L'Amant", le "Don Juan sans goût pour la simplicité" formé aux qualités du cœur par le journal d'une princesse encore enfant? Voilà le cœur du récit: jusque-là, le cœur, pour Cheng Le How, ce sont les véritables "affaires étrangères", plus même que la diplomatie.
Viennent l'exploration de l'ésotérisme, avec une voyante et le Yi King. Mais c'est bien l'écrit de Souen Akar qui fait basculer la vie d'un homme disposé à voir le voile se déchirer. Dès lors, "Affaires étrangères" apparaît comme une illustration de la force de la littérature, ou du moins du message, quelle que soit la forme qu'il prend: écrites ou orales, les voix s'entrecroisent en effet dans cette brève polyphonie. Avec le réel comme révélateur et comme adjuvant, par exemple dans l'horreur de manifestations violentes, la chose écrite et les mots dits peuvent s'avérer décisifs dans toute vie, à l'instar de celle de Cheng Le How. Et lui donner un supplément de sens, loin des faux semblants de la diplomatie.
Marie-José Imsand, Affaires étrangères, Lausanne, BSN Press, 2018.
Le site de BSN Press, celui de Marie-José Imsand.
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