Jean-François Thomas – Quinze textes de science-fiction pour un recueil peu banal: c'est le programme de "Magiciennes dentelées et autres récits" de Jean-François Thomas. Après plusieurs romans, dont "Le Cri du lézard", l'écrivain s'y essaie aux formes courtes de la littérature, avec beaucoup de qualités. Mentionnons d'emblée la plus forte d'entre elles: cette capacité à recréer en peu de pages des mondes lointains et à les rendre accessibles même à des lecteurs peu férus de science-fiction. Cela, avec une écriture généralement fluide et soucieuse de réalisme.
"Magiciennes dentelées et autres récits" est traversé par la question de l'habitabilité de mondes lointains, qu'on peut percevoir comme le miroir de la possibilité même d'habiter sur Terre. Aucune planète n'est jamais vraiment hostile pour l'auteur, mais elle n'est pas non plus forcément accueillante. Amené à découvrir cette ambivalence, le lecteur sera surpris par exemple par ce qui empoisonne la vie des colons terriens dans "Les tubercules de Trivia", ou par la duplicité astucieuse des habitants de Chakrouar III dans la nouvelle éponyme. Cette question de l'habitabilité se prolonge dans "Bon débarras", malicieuse évocation d'un personnage féru de bricolage: et si la science-fiction pouvait raconter le recyclage?
Situées sur Terre, les nouvelles "Magiciennes dentelées" et "Stupre et faction" marient les genres à leur manière. L'intrigue de "Magiciennes dentelées", construite sur un fond écologiste et structurée comme une intrigue policière, ne manque pas de surprendre le lecteur, attrapé par une explication scientifique. Quant à "Stupre et faction", son ambiance rétro et délicieusement sexy, inspirée sans doute de la tradition des "No Pants Day", résonne avec les aïeux français du polar: Maurice Leblanc et Gaston Leroux. On en viendrait à aimer le narrateur, redresseur de torts autoproclamé, aux prises avec un certain professeur Tumlassus... et l'on se souvient bien sûr, avec un sourire en coin, de l'artiste Spencer Tunick.
Il est utile de relever encore que, en plus de nouvelles classiques habilement développées qui assument leur lien avec la Suisse à l'occasion, entre autres à travers une onomastique cosmopolite qui n'oublie pas la nation à la croix blanche, l'écrivain place dans son recueil "Magiciennes dentelées et autres récits" une brassée inattendue de poèmes de science-fiction. L'alexandrin n'y est pas toujours parfait, mais sa seule impression suffit à créer une musique à l'oreille du lecteur de "J'ai croisé des vaisseaux". Humaniste enfin, le poème "Réfugiés" interpelle le lecteur une dernière fois dans le livre: que ferais-tu si des extraterrestres demandaient l'asile à la Terre?
Voilà qui donne à réfléchir, une dernière fois, après tant de textes dont la tonalité se révèle inquiète à plus d'une reprise: s'il n'est plus possible de vivre tranquilles sur Terre, où dans l'univers sera-t-il possible de le faire, et à quel prix?
Jean-François Thomas, Magiciennes dentelées et autres récits, Vevey, Hélice Hélas, 2025.
Le site des éditions Hélice Hélas.

Je suis au auteur comblé par la justesse et la richesse de ce commentaire sur mon recueil de nouvelles ! Merci et bravo pour l'analyse en profondeur. ("Stupre et faction" a bien été inspirée par les "No Pants Day" ;-)
RépondreSupprimerBonsoir Jean-François! A mon tour de te remercier pour les chouettes heures de lecture que j'ai passées avec ton recueil. Bon dimanche à toi!
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