Gabriel Bender – Les liens entre Bercelonnette et le Mexique sont documentés: il fut un temps où plus d'un habitant de cette petite ville de France est parti au Mexique pour faire fortune. Pour certains, ça a plutôt bien fonctionné. C'est sur cette base historique que l'écrivain Gabriel Bender fonde son dernier roman, une fantaisie grand-guignolesque franco-mexicaine intitulée "¿Dónde està Barcelonnette?".
Quel charivari! C'est au moment de la guerre d'Espagne que se noue le destin des deux personnages du roman, Juan et Marthe, réfugiés en France, fuyant les exactions des troupes phalangistes. D'emblée, ça saigne et l'auteur ne manque pas de le relever, quelque peu dénonciateur, sur le mode "On te voit, Franco!". Marthe y perd un œil, façon "Un chien andalou" de Luis Buñuel (et chien andalou il y a!), Juan y gagne une éducation sentimentale: mariés devant "témoin", les deux tourtereaux se promettent de retrouver une fois que la France sera devenue plus calme pour eux.
Trouble dans le genre
Ce qui va frapper le lecteur de "¿Dónde està Barcelonnette?", c'est l'habileté avec laquelle l'écrivain joue le jeu du mélange des genres à travers ses deux personnages amoureux. C'est d'abord Juan qu'on suit, personnage physiquement assez fin qui passe aisément pour une femme et finit par prendre le goût du travesti, au fil d'une traversée qui aurait dû le mener au Mexique mais qui le balade en Méditerranée pendant une douzaine d'années à la manière d'un Ulysse moderne.
Quant à Marthe, elle s'enrichit dans un business qui, au milieu du vingtième siècle, reste assez masculin: elle devient cheffe d'entreprise, capitaliste jusqu'au bout des ongles, et se spécialise dans un produit à l'imaginaire typiquement mexicain: le chocolat. Quelles seront leurs retrouvailles? Qui sera il ou elle, et d'ailleurs, vont-ils consommer leur union? L'intrigue réserve ses surprises et les fait peu à peu percoler.
Humour à tous les étages
L'histoire est portée par une écriture ludique et amusée qui ne rate jamais l'occasion de planter une allusion à l'un ou l'autre produit de la culture occidentale, populaire ou non, pour faire grésiller la mémoire du lecteur. Cela peut s'avérer métaphorique: les deux orchestres de mariachis rivaux protégés par l'entreprise Choco Fritz faisant assaut de virtuosité font immanquablement penser à ces villages valaisans qui, si petits qu'ils soient, cultivent aujourd'hui encore leurs deux fanfares de couleur politique opposée.
De façon plus directe, l'auteur ne manque pas une occasion de citer telle ou telle chanson populaire calibrée pour s'incruster dans la tête du lecteur, à l'instar de l'"itsy bikini" de Juan, rouge et jaune à pois comme il se doit. Pour jeter le trouble dans le genre, et dans le même registre obsédant, l'auteur ne manque pas d'évoquer, mine de rien, l'équivoque chanson "Le rire du sergent" de Michel Sardou. Enfin, et c'est un délice, l'auteur fait assaut de jeux de mots, lâchés çà et là comme sans faire exprès, ou alors de manière prévisible – mais du coup, c'est presque avec impatience qu'on les voit venir.
Éléments d'observation sociale
En mettant en scène Juan le transsexuel, l'auteur questionne, à travers une situation historique qui va mener jusqu'à Monaco, la place de la fluidité du genre dans la société. Cela dit, s'il évolue de manière opportuniste dans une société qui l'accepte voire l'accueille dans sa fluidité, Juan ne cherche à convaincre personne que sa manière de vivre pourrait être adéquate pour d'autres. Du reste, au fond de lui, il reste conscient d'être un homme hétéro, marié à une femme nommée Marthe qu'il doit retrouver et honorer.
Quant à Marthe, femme pragmatique devenue patronne d'une fabrique de chocolat, elle constitue l'archétype du capitaliste, d'ordinaire masculin. Cette fois, le capitaliste est décliné au féminin, mais ça ne change pas grand-chose. En effet, les travers restent les mêmes: de malversations en malversations, l'auteur fait de Choco Fritz une armée mexicaine (plus de chefs que d'ouvriers dans le personnel actif, et tous ne sont pas vivants) et décrit, c'est un moment fort de ce roman, une grève échevelée où la CGT elle-même se profile comme un syndicat défendant le travail. Enfin, à l'instar du plus toxique des mecs managers, elle sait jouer la partition du sexe comme instrument de domination et d'évaluation du personnel.
Donc oui: on s'étripe joyeusement dans "¿Dónde està Barcelonnette?", et l'auteur ne laisse aucun temps mort dans l'intrigue d'un roman flamboyant qu'on dévore à pleines dents, quitte à ce que ça laisse quelques traces aux commissures des lèvres. Mais mine de rien, par-delà l'outrance, il n'oublie pas de faire passer quelques petits messages politiques, marqués par une certaine idée de la justice sociale. Entre deux éclats de rire, à chacun de les déchiffrer!
Gabriel Bender, ¿Dónde està Barcelonnette?, Ardon, Gore des Alpes, 2025.
Le site des éditions Gore des Alpes.

Bonjour daniel,
RépondreSupprimerPas sûre que ça me plaise... en lisant le début de ton billet, j'ai cru que cet ouvrage allait aborder l'histoire qui lie Barcelonnette (ville que j'aime particulièrement, et où j'ai séjourné à plusieurs reprises) et le Mexique, mais je vois que ce n'est pas le sujet.
Bonjour Ingrid! En effet, les lieux servent d'arrière-plan, en partie avec leur typicité, mais je ne sais pas s'il y a vraiment eu une chocolaterie à Barcelonnette. Et en particulier, Juan n'arrivera jamais au Mexique. Bonne journée à toi!
Supprimerbonjour Daniel et merci pour cette recension… La première partie de l’ouvrage peut se hisser au rang de roman historique, par la suite c’est du possible, du probable et comme relevé le final est du grand n’importe quoi. GB
RépondreSupprimerMerci pour ces précisions, Gabriel! Je te souhaite une bonne semaine.
Supprimer