Daniel Abimi et Émilie Boré – S'ils ont chacun leur œuvre personnelle, il arrive que les écrivains Daniel Abimi et Émilie Boré écrivent à quatre mains. Les éditions BSN Press en ont témoigné pour la première fois avec la parution de la novella "Bora Bora Dream" dans la collection "Uppercut". Elles remettent la compresse à présent en rééditant ce texte dans un ouvrage enrichi de quatre nouvelles: "Bora Bora Dream et autres nouvelles".
De la longue nouvelle éponyme, le lecteur garde le souvenir d'une narration qui met en scène, dans un esprit de confrontation, deux personnages fonctionnant dans un hypercontrôle dont la maîtrise du corps est la métaphore: tout commence dans un fitness, le paraître compte autant sinon plus que les exercices qu'on fait pour garder une bonne santé physique. L'écriture est percutante, à l'os, et recrée à merveille deux personnages esclaves de l'obsession perfectionniste du paraître – avec le ventre au cœur du propos.
Les quatre nouvelles qui complètent le recueil sont de la même veine et explorent les mêmes thématiques. "Il aura ta peau" est ainsi porté par les inquiétudes d'un futur père face à l'enfant qui naîtra de ses œuvres – un ventre encore, habité cette fois. L'incipit annonce la couleur: "C'est pas compliqué: depuis qu'elle est enceinte il est pris de nausées." Et peu à peu émerge l'image d'un homme obsédé par l'altération du physique de sa femme, de sa peau en particulier, résultant de sa grossesse. Jaloux de l'enfant à naître, perçu comme un rival? La chute de la nouvelle le suggère.
"Immeuble" emprunte à la nouvelle "Bora Bora Dream" l'idée sous-jacente de la vie de couple qui abîme, au travers d'un personnage de femme violoniste virtuose qui, veuve trop tôt et devenue aigrie, ne consacre qu'à elle-même et à de rares élèves sa pratique du violon. Sa manière de jouer est d'abord insupportable, puis plus harmonieuse, comme si, d'une situation de casse, l'interprète, elle-même rescapée d'un accident grave, tentait de revenir à un passé idéalisé à partir d'un présent chaotique.
Si elle emprunte aussi au thème de la vie qui abîme, la nouvelle "D'un trait" s'intéresse de manière centrale à une addiction, une obsession plus classique que le culte du corps: l'alcoolisme. Avec talent, elle en dessine la possible hérédité et, de manière classique, la difficulté à en sortir – la chute est d'un tragique qui tient de la cruauté. Elle résonne avec "Bora Bora Dream" en posant la question: est-il plus facile de se sevrer du sport que de l'alcool?
Enfin, l'observation des corps qui changent, nolens volens, est de retour dans "Tout bas". Ici, c'est la narratrice, quadragénaire évoluant après sa jeunesse révolue mais pas si lointaine, qui parle d'elle-même. Son souci résigné de confier son corps à une esthéticienne entre en résonance avec son envie, contrariée par l'époque, de malgré tout pouvoir parler comme dans sa jeunesse: "Elle veut dire "noir, "vieux", "handicapé", "bête", elle se heurte elle-même, elle a peur, elle se tait". Les corps ainsi évoluent, tout comme le langage. Pourtant, ironie grinçante, c'est bien le 14 juin, date féministe en Suisse s'il en est, que tombera la prochaine séance de soins esthétiques d'une narratrice docile: autant pour l'émancipation face aux injonctions sociales de beauté (physique) et de (beau) langage imposées aux femmes...
Quant au rêve de Bora Bora, on peut le voir comme le lieu d'une émancipation perpétuelle et recherchée. S'il apparaît dans son sens premier dans "Bora Bora Dream", il se révèle sous la forme d'une métaphore des rêves que la vie, cruelle, se charge de dégager dans chacune des nouvelles qui suivront. Alcool, sport à outrance, obsessions, langage: chaque personnage trouvera son substitut à ce nouveau château en Espagne.
Daniel Abimi et Émilie Boré, Bora Bora Dream et autres nouvelles, Chêne-Bourg, BSN Press, 2025.
Le site de Daniel Abimi, celui d'Émilie Boré, des éditions BSN Press.

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