jeudi 12 juin 2025

Lauren Weisberger, ombres et lumières du star-système

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Lauren Weisberger – La célébrité est généralement une consécration. Mais il est aussi permis de penser qu'elle est une épreuve, surtout si elle survient soudain au sein d'un couple, bousculant toutes les prévisions. Une telle épreuve, c'est celle que Brooke et Julian vont traverser tout au long du roman "Stiletto Blues à Hollywood", signé Lauren Weisberger – cette romancière connue grâce à son roman "Le diable s'habille en Prada".

La traduction du titre appelle quelques réserves. Certes, elle est distante du titre d'origine, ce qui n'est pas un mal en soi. Mais s'il y a beaucoup de blues et d'humeurs mélancoliques dans "Stiletto Blues à Hollywood", il n'y est guère question de talons hauts (mais bien plus de talents hauts!), ni de Hollywood proprement dit – au-delà, bien sûr de quelques stars dûment citées, en mode namedropping, pour dire que tout se passe dans les sommets de l'industrie américaine du divertissement. Pensez: il y a même de vrais morceaux de Jon Bon Jovi dans ce roman... Mais tout se passe entre New York, Los Angeles et, pour une péripétie, Chattanooga. Et pour faire chic, on voyage en avion ou en taxi.

La conduite de ce roman est maîtrisée, nul doute là-dessus. Cela tient à un tandem de personnages travaillés en profondeur. Il y a d'un côté Julian, le chanteur qui devient tout d'un coup célèbre dans l'ensemble des Etats-Unis, voire au-delà. C'est une figure complexe: l'auteure dessine les tentations liées au monde des paillettes et du glam qu'il aborde sans y être vraiment préparé, et on le voit essayer, avec des fortunes diverses, de résister à la tentation de prendre le melon. Brooke, sa femme, mène aussi sa carrière, plus discrète mais pas moins satisfaisante: elle est diététicienne spécialisée dans la maternité et la petite enfance. 

Avec un tel tandem, l'auteure recrée le duo flatteur (pour les lectrices) de la femme ordinaire et anonyme, à peine en surpoids (à rebours de la fille élancée qui, dessinée, orne la couverture du livre), qui vit une histoire d'amour unique avec un homme hors du commun – un schéma qu'on trouve entre autres aussi, dans le domaine suisse, dans le cycle "Gueule d'Ange" de Katja Lasan: qui n'aimerait pas être la chérie de la rock star charismatique du moment? L'écrivaine américaine crée, sur cette base, un roman doux-amer qui explore et questionne, sans concessions mais non sans humour, les inconvénients d'un tel attelage: absences répétées, rumeurs malveillantes, remise en question de la vie privée. Elle recrée avec beaucoup de justesse les émotions fortes que traverse en particulier une Brooke qui ne se reconnaît plus, et ne retrouve plus son mari aimant des années de galère.

En arrière-plan, l'auteure dessine avec précision un portrait sans concession du monde du star-système, faussement amical, plein d'embuscades, où chacune et chacun est bien inspiré de se méfier de ses semblables, si souriants qu'ils soient. En contrepoint, même s'il est moins glamour, le monde du travail de Brooke est observé avec une égale justesse. Evaluations par la hiérarchie, collègues qui font faux bond, navigation entre rigueurs du métier et confiance des patientes: en définitive, il est permis de se dire, au fil des pages, que strass mis à part, les milieux de la diététique et du cinéma ont plus d'un point de convergence.

Il faut un peu de temps pour entrer dans "Stiletto Blues à Hollywood" dans sa version française: les premières pages s'avèrent écrites dans un style certes propre, mais sans le pétillement qu'on attend d'un roman de chick lit. Mais qu'on laisse au texte le temps de quelques tours de chauffe: ceux-ci permettent de planter le décor de manière détaillée et claire. Et peu à peu, au fil des péripéties et surtout des dialogues, le récit va s'éclairer et trouver son tempo de croisière. Dès lors, ce roman ne se lâche plus guère. Et sa fin, en est-elle vraiment une? Elle pourrait constituer une ouverture vers de nouvelles aventures pour Brooke et Julian.

Lauren Weisberger, Stiletto Blues à Hollywood, Paris, Fleuve Noir, 2010/Presses Pocket, 2011. Traduit de l'américain par Christine Barbaste.

Le site de Lauren Weisberger (en anglais), celui des éditions Presses Pocket.

Lu par Alice, Chicky PooGwen, Le monde éditorialLivre d'un soir, LiziMa bibliothèque virtuelleMalivo, MarieMelymeloPops, Smells Like Chick Spirit.

2 commentaires:

  1. Une peinture du star-système qui semble faire voler en éclats les paillettes...

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    1. Bonjour Audrey! En effet, ça relativise beaucoup l'attrait des paillettes et du glamour... Bon week-end et bonnes lectures à toI!

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