samedi 8 mars 2025

Marie Beer, rapport au réel

Marie Beer – Après la drolatique aventure canine de "Patate chaude", Marie Beer revient en ce début d'année avec un nouveau roman, son neuvième déjà: "Être de papier". Il s'agit de l'adaptation en roman d'une pièce de théâtre, et le lecteur le perçoit à plus d'un titre: espaces bien définis, dialogues nombreux. 

Et de quoi s'agit-il? A l'occasion d'un accident dont sa femme Aline est victime, un homme prénommé Yann accourt à son chevet. Et incidemment, il apprend qu'elle n'a jamais exercé le métier d'enseignante, alors que c'était clair pour tout le monde a priori. Aline en mode Jean-Claude Romand, qui se prétendait haut fonctionnaire à l'OMS et passait ses journées dans sa voiture sur une aire d'autoroute entre l'Ain et Genève avant d'assassiner toute sa famille? Il est permis d'y penser.  

Mais voilà: Marie Beer se montre plus habile que la réalité. Face à un Yann dépité d'avoir été victime d'un mensonge de longue durée qui brise toute confiance (et on le comprend un peu), l'écrivaine place une Aline qui défend rigoureusement sa position, renvoyant Yann à sa propre responsabilité. Il y a bien sûr un peu de mauvaise foi de part et d'autre dans le bras de fer qui s'installe. Mais voici le meilleur: il en résulte des dialogues finement ciselés, aussi tranchants qu'un diamant de vitrier. Yann ouvre les hostilités en demandant le divorce, et on le croit légitime. 

Vraiment? La confrontation dure tout un livre et met au jour tout ce qui constitue le quotidien d'un couple petit-bourgeois imaginatif, chacun à sa manière: ainsi s'opposent l'esprit fantasque et fabulateur d'Aline et celui de Yann qui, producteur de son état mais gardant les pieds sur terre, se contente d'inventer des histoires pour le cinéma. En les voyant ferrailler, le lecteur compte les points et découvre les différends et non-dits qui éclatent soudain: les enfants, la question du statut social, la mort du petit chat, un possible amant... sans oublier ce que chaque membre d'un couple peut apporter à celui-ci, de manière quantitative mais aussi qualitative.

Les textes qui séparent les dialogues jouent un rôle d'approfondissement ou de description du passé du couple, en un aller et retour temporel constant. Ils apparaissent parfois aussi comme un simple commentaire de ce qui s'échange entre les deux conjoints, liés foncièrement par une relation qui, avant même l'accident qui a tout déclenché, n'a jamais manqué d'acidité. Et ainsi se dessine tout le tragique d'un couple, avec simplement deux conjoints certains d'avoir raison.

L'auteure dessine avec une acuité extrême la destinée d'un couple à la croisée des chemins, de deux êtres de papier – comme le dit le titre – dont le plus existant n'est peut-être pas celui (ou celle, hein!) qu'on croit. Le cadre est restreint: c'est celui d'un box de chambre d'hôpital, où tout ce que les deux conjoints peuvent se dire peut être entendu par d'autres, ce qui souligne d'emblée le statut public du couple marié avec des enfants. Cela n'empêche pas d'aborder, et l'auteure le fait magistralement en recourant à tous les outils offerts par la fiction, le thème clé de ce roman, qui est le rapport de chacun au réel.

Marie Beer, Être de papier, Genève, Encre fraîche, 2025.

Le site des éditions Encre fraîche.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Allez-y, lâchez-vous!