Le lecteur est invité à se mettre dans la peau d'un homme en fuite. Pourquoi, comment? Tout cela viendra, qu'on se rassure. Pour commencer, le voilà couché, cet homme, et laissé pour presque mort par ses poursuivants, sous une pluie battante, le nez dans un caca en voie de dissolution. Un comble pour un chef d'entreprise enrichi dans le domaine de la plomberie! La pluie battante va persister tout au long du récit, qui dure une nuit; elle fait ainsi écho à la profession du personnage principal, victime collatérale d'une fuite d'eau chez Saint Pierre...
On s'attache à ce lascar nommé Pierre Larpipon, force est de le relever (a-t-il de la famille avec Ronpipal, d'ailleurs? Possible, à l'entendre...). Sa fuite devant des adversaires sans visage a tout d'une forme de paranoïa; quant au fuyard, tenant à l'œil un SUV suspect, il est convaincu, sur la base d'épisodes de vie passés, que c'est sa femme, une riche héritière, qui veut sa mort. Tout le récit sert de prétexte pour creuser ce personnage: le lecteur fera connaissance de sa famille et de ses proches, mais aussi de ses activités de jeunesse pas très reluisantes, tenant du vol, du trafic de stupéfiants et d'autres activités criminelles. L'auteur ouvre ainsi la porte à la possibilité d'un règlement de comptes: autant d'hypothèses sur l'identité de ceux qui veulent sa peau.
Larpipon? Voilà un nom ridicule, et le personnage principal en est conscient. Cela fait contraste avec le tableau que l'écrivain donne d'une certaine société, qu'on pourrait dire bourgeoise et provinciale, un peu à l'ancienne, qu'on imagine montée du col: des gens qui se piquent de culture et se rencontrent dans les vernissages, et plus si entente: dans ce cas, on se retrouve en partouze. L'auteur décrit ce monde sans utiliser de filtre, cassant avec vigueur le vernis impeccable qui revêt ce microcosme et rappelant à l'occasion que souvent, les origines plébéiennes ne sont pas si loin, même si l'on cherche à les faire oublier par tous les moyens. Et il est permis de voir dans les allusions aux sécrétions corporelles telles que les étrons ou l'urine une métaphore qui met en lumière ce que ces petits-bourgeois aimeraient bien celer.
Le sens de l'observation et du détail marque chaque page de "Lignes de fuite", un thriller rapide et efficace qui offre au lecteur son lot de péripéties et de retournements de situation. L'auteur sait en effet aussi recréer les réalités du métier de la plomberie et des chantiers, et les exploiter au bénéfice de son histoire. Bien ficelée, celle-ci constitue un page-turner qui saura accrocher son lectorat jusqu'à l'ultime retournement de situation.
Pierre Ronpipal, Ligne de fuite, Lausanne, Nouvelles Editions Humus. 2025.
Le site des Nouvelles éditions Humus.
L'image de couverture suivra...
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