Carole Fives – Le parcours de la narratrice de "Térébenthine" se présente comme exemplaire: ce court ouvrage relate ses trois années passées à l'école des Beaux-Arts de Lille, dans le domaine alors décrié de la peinture: "Peinture et Ripolin interdits", y lit-on dans les années 20024 selon ce récit. Un récit empreint du vécu de la romancière, écrit à la deuxième personne du singulier comme s'il s'agissait d'inviter lecteur dans le tableau, de lui faire une place.
Autour de la narratrice, évoluent deux autres apprentis peintres qui, chacun à sa manière revisite les méthodes ancestrales de la peinture et de la figuration. Par dérision, quelqu'un a baptisé ce groupe "Térébenthine", mais si les liens sont forts entre les personnages, ce groupe n'a pas d'existence effective, sauf peut-être le temps d'une courte exposition. On pense au "Groupe des Six" en musique classique, pour le coup, ainsi nommé par commodité alors qu'il n'a réellement existé que l'espace d'un concert.
En opposant la peinture et d'autres techniques, disons, plus modernes, l'auteure donne un aperçu des enjeux de la création artistique actuelle, fondée entre autres sur l'idée de performance, qui n'a pas vocation à durer. Nombreux sont dès lors les créateurs des dernières décennies mentionnés dans l'ouvrage. Au travers d'un ou deux cours, la présence (ou non) des femmes dans cet univers créatif est également évoquée. Enfin, il sera également question de la prééminence des concepts par rapport à la création elle-même, jusqu'à l'absurde: suffit-il de développer un discours autour d'un objet pour faire œuvre artistique?
Dès lors, en quatrième partie du roman, l'auteure pose la question des débouchés offerts par la formation dispensée à l'école des Beaux-Arts évoquée dans le roman, sachant que tout le monde ne deviendra pas un artiste coté, célèbre, vivant confortablement de son art. La narratrice devient romancière, et les autres? Le culot et l'imposture rapportent-t-il dès lors davantage que la sincérité dans la démarche créatrice?
Rapide et ironique, amusé, parfois désenchanté, "Térébenthine" conduit fait visiter à son lectorat les arcanes méconnus d'une école d'art de haut niveau, ainsi que les enjeux et tensions liés aux différentes démarches artistiques qui se côtoient actuellement. Avec, en filigrane, une question: à l'heure où tout le monde mise sur les performances et les écrans, y compris les institutions, les peintres ne sont-ils pas les nouveaux révolutionnaires de l'art?
Carole Fives, Térébenthine, Paris, Gallimard, 2020/Paris, Folio, 2022.
Le site des éditions Gallimard, celui de la collection Folio.
Ils l'ont également lu: Anthony, Carobookine, Cathjack, Christine Bini, Hélène, Henri-Charles Dahlem, Jean-Paul et Ghislaine Degache, Jean-Paul Gavard-Perret, Joëlle, Krolfranca, La bouche à oreilles, Laurent Noël, Le Petit Furania, Loupbouquin, Manou, Matatoune, Mes p'tits lus, Pierre Lamalattie, Sylvie Vaz, Véronique Boennec.
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